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Théâtre queer à Toronto

Quand j’ai fondé Buddies in Bad Times Theatre en 1979, je venais juste de sortir de l’école théâtrale.

Quand j’ai fondé Buddies in Bad Times Theatre en 1979, je venais juste de sortir de l’école théâtrale. Deux copains, Matt Walsh et Jerry Ciccoritti, ont démarré la compagnie avec moi. Ni l’un ni l’autre n’est resté avec lacompagnie plus qu’un an, ni l’un ni l’autre n’était gai.

Moi non plus, en 1979. Mais j’avais beaucoup de sentiments gais, des sentiments sur lesquels j’avais des doutes. Certains de ces doutes ont apparu quand j’ai vu le théâtre gai en ville vers la fin des années 1970. Je me rappelle deux spectacles qui m’ont particulièrement enragé. Le premier était Jekyll Play Hyde mis en scène par Paul Bettis de Toronto, produit par une compagnie nommée Theatre Second Floor. L’autre était Salomé, jouantaux Toronto Workshop Productions, et dontle créateur et l’acteur principal est Lindsay Kemp d’Angleterre. À mon avis, les deux étaient prétentieux. Mais évidemment, les deux montraient beaucoup de nudité masculine, ce que je jugeais inutile à l’époque (cela peut-être gênait « mon identité enfermée dans un placard »).

J’ai aussi vu plusieurs pièces de théâtre produites par Larry Fineberg qui mettaient en scène des personnages névrotiques, parfois bisexuels. J’ai aussi vu Hosanna de Michel Tremblay. Les gens m’ont dit qu’Hosanna dépeignait le Québec, mais il me paraissait plutôt qu’on y traitait d’une triste drag queen. Bob White de la Playwrights Co-op m’a raconté des histoires sur une véritable drag queen connue sous le nom de John Herbert qui n’avait pas eu beaucoup de succès depuis son grand triomphe international dans les années 1960 avec son spectacle gai Fortune and Mens Eyes, où l’on évoque comment la vie en prison peut mener aux rapports sexuels gais.

Il n’y avait rien d’étonnant à ce que j’aie du mal à sortir du placard. Le monde gai que j’avais imaginé dans ma tête existait à peine au théâtre et au cinéma et certainement pas à la télé, surgissant à l’occasion, par exemple,comme le visage sombre de l’Allemagne nazie dansCabaret ou comme une bisexualité érotique choquante dans The Rocky Horror Picture Show.

J’ai décidé de fonder ma propre compagnie théâtrale.Au fond de moi-même, je devais savoir que bientôt je sortirais du placard! Donc, Jerry, Matt et moi avons fondé Buddies in Bad Times Theatre, consacré à la mise en scène de « la poésie théâtrale » et intitulé ainsi d’après un poème du surréaliste français Jacques Prévert. J’étais obsédé par les poètes beat qui étaient gais en quelque sorte, mais plutôt bisexuels, et par Patti Smith.Donc nos premières pièces de théâtre parlaient d’eux.

Au fur et à mesure que le temps passait, je suis sorti du placard tout commeles pièces de théâtre que j’écrivais. J’ai eu assez de courage pour afficher qu’une des premières productions Lana Turner Has Collapsed! présentait la poésie de Frank O’Hara, un poète gai. En 1985, Buddies s’est allié avec le Nightwood Theatre (un théâtre féministe) pour organiser Rhubarb!, un festival expérimental de nouveaux projets. Nous nous sommes également associés à cinq autres théâtres expérimentaux pour fonder The Theatre Centre.

Vers 1986, j’ai eu assez de courage pour qualifier Buddies comme un théâtre gai dans les demandes de subventions. Peu après, il est devenu aussi un théâtre de lesbiennes, quand Sue Golding, amie et professeure, en est devenue la présidente. Mes pièces de théâtre The Dressing Gown et Drag Queens on Trial ont provoqué de l’excitation. La première était ma propre critique des excès de la communauté gaie, la deuxième était la célébration de la promiscuité et de l’efféminement.

Vers la fin des années 1980, le dramaturge gai Brad Fraser a eu un grand succès avec Unidentified Human Remains et the True Nature of Love. Mais son travail, bien qu’aussi gai que le mien à certains égards, semble l’échapper belle sous le nom « comédie urbaine contemporaine ». J’ai eu l’occasion d’aider d’autres artistes queer à se développer grâce aux festivals Rhubarb! et 4-Play de Buddies. Des artistes comme Daniel Maclvor, Edward Roy, Ken McDougall, David Bateman et Bryden MacDonald y ont fait leurs premiers pas en dramaturgie, ainsi que les dramaturges lesbiennes Audrey (plus tard Alec) Butler, Sonja Mills, Marcy Rogers, Moynan King et Anne-Marie MacDonald. Mais Buddies était connu aussi pour son travail innovateur (nous aimions l’appeler queer parce que cela permettait de « brasser » les gens) avec ses présentations des premières pièces de théâtre de Daniel Brooks (en collaboration avec Tracy Wright et Don McKellar), Death Waits, Hillar Littoja et Darren O’Donnell.

L’apparition du sida au début des années 1980 a généré une éruption de pièces de théâtre sur la maladie. Certaines de mes pièces de théâtre, ainsi que quelques pièces gaies de notre festival 4-Play, traitent de ce sujet. Quand Buddies a commencé à chercher un lieu d’attache permanent en 1990 (et que nous avons trouvé finalement au 12 Alexander Street à Toronto), nous avons remarqué que le esprit du siècle avait changé lui aussi. En 1979, il y avait peu de théâtre queer. Maintenant, il a des films et des émissions de télévision gais. Le sida a contribué à l’accroissement du conservatisme dans la communauté gaie, et les gais et les lesbiennes ont commencé à se battre pour avoir le droit de se marier. J’ai encouragé pendant plusieurs années les artistes gais à raconter les détails de notre vie queer. De nos jours, il semble que la majorité des gais et des lesbiennes ne veulent plus être queer, ils veulent se marier et être normaux.

J’ai quitté la compagnie en 1997, les directeurs artistiques Sarah Stanley et ensuite Davis Oiye ont pris la relève pour un certain temps. Le directeur artistique actuel Brendan Healy leur a succédé.

Brendan comprend que Buddies a toujours présenté des aperçus radicaux de différentes sexualités de manière innovatrice et ambitieuse. Le théâtre n’a jamais été destiné à être juste un autre théâtre alternatif avec un répertoire traitant de naturalisme infirme de tous les jours ou de hits américains ou britanniques recyclés. Brendan a proclamé que l’objectif de Buddies est de confronter. Je me rappelle un homme d’affaires gai de la classe moyenne qui m’a dit : « Je veux que tu saches que je soutiens ton théâtre et que je l’ai toujours fait. Je ne suis pas toujours d’accord avec ce que tu as à dire ou avec la manière que tu as de le dire, mais quelqu’un doit repousser les limites, sinon nous n’aurions pas les droits que nous avons aujourd’hui ».

Est-ce que ces limites ont toujours besoin d’être repoussées et est-iltoujours nécessaire de faire des expériences? Est-ce que certaines de ces expériences portent sur le genre et sur ceux qui, par exemple,se considèrent comme des personnes transgenres, transsexuelles ou d’un genre neutre? Peu importe quels défis nous attendent, nous allons les célébrer chez Buddies.

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