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Vie privée

Dans la société rurale canadienne du XIXe siècle, la notion de vie privée se rattachait essentiellement à un espace physique.

Vie privée

Dans la société rurale canadienne du XIXe siècle, la notion de vie privée se rattachait essentiellement à un espace physique. Aujourd'hui, nous avons tendance à définir la vie privée non seulement du point de vue du territoire, mais également comme le droit qu'a chacun de déterminer le moment, la manière et dans quelle mesure il est disposé à fournir des renseignements à son sujet. Lorsque les Canadiens parlent d'« atteinte à la vie privée », ils font autant référence à la surveillance électronique qu'à l'utilisation sans leur consentement de renseignements personnels contenus dans les banques de données informatisées. L'heureuse alliance des fichiers de données et des ordinateurs constitue la plus grande menace à la vie privée (voir INFORMATIQUE ET SOCIÉTÉ). L'intervention législative du gouvernement visait surtout à permettre aux citoyens l'accès aux renseignements personnels que détient sur eux le gouvernement. Toutefois, cette même législation permet à des tiers d'accéder, dans certaines circonstances, à des renseignements personnels.

Les lois adoptées par le gouvernement fédéral pour protéger la vie privée comprennent notamment la Loi sur la protection de la vie privée (1974), qui autorise l'écoute électronique dans certaines circonstances, et la Loi sur la vie privée (1982), qui remplace et renforce les dispositions relatives à la vie privée de la Loi canadienne sur les droits de la personne (1977).

En 1984, le Québec adopte une loi sur la protection des renseignements personnels et l'accès à l'information. L'Ontario et le Manitoba emboîtent le pas en 1988. Déjà, la Colombie-Britannique (1968), le Manitoba (1970) et la Saskatchewan (1974) ont adopté des lois qui ouvrent la voie à la poursuite judiciaire dans des causes d'atteinte à la vie privée, mais celles-ci, semble-t-il, sont « inutilisées et inutilisables ».

La Charte québécoise des droits et libertés de la personne (mais non la CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS) contient aussi une clause sur le droit à la vie privée. En 1981, la commission mixte sur la Constitution refuse d'entériner une mesure qui aurait protégé le citoyen contre toute ingérence dans sa vie privée, sa famille, son foyer et sa correspondance.

D'autres lois fédérales et provinciales protègent la vie privée. La Loi sur la statistique, entre autres, adoptée par le fédéral, interdit de dévoiler des renseignements personnels, et la loi sur les rapports de crédit de l'Ontario permet à chacun d'accéder à son dossier de crédit personnel et d'y apporter des corrections si nécessaire. Un autre niveau de protection est assuré par les tribunaux qui entendent des causes fondées sur la violation de propriété privée et le vol, mais aucune loi ne prévoit de poursuite pour cause de violation de la vie privée. Le gouvernement fédéral a introduit un projet d'amendement au CODE CRIMINEL en vue de protéger les citoyens contre l'utilisation illégale des renseignements personnels contenus dans les banques de données.

Les Canadiens se sont ouvert les yeux sur les nombreuses violations de la vie privée avec la controverse entourant l'utilisation des NUMÉROS D'ASSURANCE SOCIALE (NAS) et les révélations de la COMMISSION D'ENQUÊTE SUR CERTAINES ACTIVITÉS DE LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA (Commission McDonald). Le NAS, d'abord connu pour faciliter l'administration des programmes de sécurité sociale, est devenu un moyen d'identification, tant dans le domaine privé que dans le secteur public. Par exemple, on l'utilise aussi bien pour enregistrer la naissance des enfants à l'Île-du-Prince-Édouard que pour enregistrer des équipes de hockey amateur. Aux yeux de plusieurs, il y a tout lieu de craindre que le NAS ne devienne un moyen d'établir des liens entre une foule de renseignements personnels conservés dans les banques de données informatisées. Le Parlement n'est pas intervenu pour restreindre l'usage du NAS, mais les citoyens ne sont plus tenus de le présenter pour encaisser des obligations d'épargne du Canada.

En octobre 1986, le vol présumé de 16 millions de dossiers contenant des NAS identificateurs, commis dans les bureaux de Revenu Canada à Toronto, rappelle aux Canadiens à quel point certaines informations clés sont vulnérables. Par ailleurs, la Commission McDonald révèle que la GRC a accédé, sans autorisation, à des informations sur des milliers de Canadiens et qu'elle a ouvert 800 000 dossiers sur des citoyens. La Commission soutient également que la GRC a porté atteinte à la vie privée en faisant de l'écoute électronique, en s'introduisant chez les gens par effraction et en ouvrant illicitement le courrier. Aucun membre de la GRC n'a fait l'objet de poursuites à la suite de ces accusations. En 1984, la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité a donné aux agents de sécurité de très larges pouvoirs leur permettant d'accéder à des renseignements privés. Les agents de sécurité bénéficient d'une certaine latitude, surtout derrière des portes closes.

La vulnérabilité de la vie privée des Canadiens est mise en évidence en 1983, lorsque la population apprend que Revenu Canada réclame l'accès généralisé aux renseignements personnels et à certaines banques de données financières des municipalités. Cet incident est suivi, en 1984, de deux décisions rendues par la Cour suprême (James Richardson & Sons Limited c. le Ministre du Revenu national, 1984, RCS 614; et Hunter et autres c. Southam Inc., 1984, 14CCC [3d] 97 CSC), limitant l'étendue des pouvoirs des hauts fonctionnaires, en vertu des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu. De même, le Commissariat à la protection de la vie privée et les groupes de défense de la vie privée se penchent sur l'utilisation croissante du recoupement des données informatisées pour comparer des renseignements personnels, découvrir des fraudes éventuelles, retracer des débiteurs et de présumés criminels.

Les gouvernements et les autorités chargés de l'application des lois ne sont pas les seuls à porter atteinte à la vie privée. Au début des années 80, la Commission ontarienne d'enquête sur la confidentialité des dossiers médicaux (Commission Krever) révèle que des agents d'assurance se sont fait passer pour des professionnels de la santé afin d'obtenir des renseignements médicaux sur leurs clients.

L'importance grandissante des ordinateurs et leur immense capacité d'établir rapidement des liens et de transmettre des données mettent en péril le droit à la vie privée. La possibilité d'effectuer des opérations bancaires, de magasiner et de correspondre par des moyens électroniques favorise l'enregistrement et l'échange de renseignements sur l'emploi, la situation financière, la santé et le mode de vie des gens.

La situation se complique lorsque des informations personnelles conservées dans les ordinateurs sont piratées par une tierce partie et que le terminal se trouve à l'extérieur du Canada (par ex., la Ville de Boston détient des renseignements sur les assurances médicales de nombreux Canadiens). Contrairement à certains pays européens, le Canada n'a pas adopté de loi pour restreindre la diffusion de renseignements personnels sur des Canadiens quand ces données sont emmagasinées à l'étranger.

Un comité du ministère de la Justice présente un rapport à la Chambre des communes, le 31 mars 1987, dans lequel il propose de réviser la Loi sur la vie privée (1982) et d'étendre sa portée aux données transférées hors du pays, de même qu'au secteur privé dont la juridiction relève du gouvernement fédéral. Il recommande aussi d'examiner les questions relatives à la surveillance électronique dans les milieux de travail, au dépistage des drogues et aux tests polygraphiques, et de les inclure dans les nouvelles lois sur la protection de la vie privée, si le gouvernement décide d'en élargir la portée.

Les Canadiens sont de plus en plus conscients du peu d'emprise qu'ils exercent sur les renseignements les concernant. Un sondage Gallup effectué en 1984 auprès de 1071 adultes révèle que 68 p. 100 d'entre eux croient que la vie privée est à peu près inexistante au Canada, parce que le gouvernement peut obtenir à sa convenance quelque renseignement que ce soit sur qui que ce soit. La population manifeste une inquiétude croissante quant à la façon dont les renseignements personnels sont recueillis, rapportés et utilisés. La confidentialité entourant les données sur les victimes du sida et sur les personnes séropositives en est un exemple frappant.