Le jour J et la bataille de Normandie | l'Encyclopédie Canadienne

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Le jour J et la bataille de Normandie

La bataille de Normandie de 1944, du débarquement du jour J, le 6 juin, à l’encerclement de l’armée allemande à Falaise, le 21 août, est l’un des événements décisifs de la Deuxième Guerre mondiale et la scène de certains des plus grands exploits militaires du Canada. Les marins, soldats et aviateurs canadiens ont joué un rôle de premier ordre dans l’invasion de la Normandie par les Alliés, aussi appelée opération Overlord, qui sonnait le début d’une sanglante mission pour libérer l’Europe de l’Ouest de l’occupation nazie. Près de 150 000 troupes alliées atterrissent ou sont parachutées dans la zone d’invasion au jour J, dont 14 000 Canadiens à Juno Beach. La Marine royale canadienne contribue à hauteur de 110 navires et 10 000 soldats, et l’ARC fournit 15 escadrons de chasseurs et de chasseurs-bombardiers pendant l’assaut. Le nombre de victimes alliées pendant le jour J s’élève à plus de 10 000, y compris 1 074 Canadiens. De ce nombre, 359 sont tués. À la fin de la bataille de Normandie, les Alliés accusent des pertes de 209 000 soldats, dont 18 700 Canadiens. Plus de 5 000 soldats canadiens décèdent.

Hitler et le mur de l’Atlantique

Le Canada est en guerre avec l’Allemagne depuis 1939 déjà. Dès 1944, le vent tourne en faveur des Alliés. Forts de la victoire de la bataille de l’Atlantique, les Alliés poursuivent leur avancée à travers l’Italie (voir bataille d’Ortona). À l’est, les Soviétiques repoussent les machines de guerre allemandes en Russie. Pendant des années, le dirigeant soviétique Joseph Staline demande aux Britanniques et aux Américains d’ouvrir un nouveau front de guerre en envahissant la France par l’ouest. Ce n’est qu’à l’été 1943 que les Alliés s’accordent enfin et prévoient l’invasion pour l’année suivante. On nomme ainsi le général américain Dwight Eisenhower commandant suprême de l’opération Overlord, nom de code de la plus grande invasion amphibie jamais réalisée.

D.D. Martin
Le soldat D.D. Martin monte la garde sur la tête de pont de Normandie, le 10 juin 1944. Image: Lieutenant Ken Bell / Ministère de la Défense nationale/Bibliothèque et Archives Canada /PA-140846.
Régiment de la Chaudière

Les Alliés ont besoin d’un port de ravitaillement français pour soutenir adéquatement la Force d’invasion. Toutefois, après le raid désastreux du port de Dieppe, en 1942, durant lequel ont été tués, blessés ou capturés plus de 3369 Canadiens, les stratèges militaires savent bien qu’une attaque navale contre ce port bien défendu est de la pure folie. (voir Les motifs du raid sur Dieppe)

En fait, la majorité de la rive française de La Manche a été transformée en ce qu’on appelle le « mur de l’Atlantique, » constitué de kilomètres de fortifications, de nids de mitrailleuses et de bunkers allemands surplombant les estuaires et les plages, eux-mêmes couverts de barbelés, de fossés antichars et d’autres obstacles.

Que signifie « jour J »?

Lorsque l’on planifie une opération militaire, la date exacte à laquelle l’attaque sera lancée n’est pas toujours connue d’avance. Pour cette raison, le terme « jour J » est utilisé pour désigner la date de commencement d’une attaque. Bien qu’il a été utilisé dans la planification de nombreuses autres opérations, le terme est désormais surtout associé à l’invasion de la Normandie, en France, par les Alliés le 6 juin 1944.


Plans secrets

Devant de tels obstacles et des Forces allemandes aguerries, menées par le légendaire général Erwin Rommel, les Alliés élisent la surprise comme arme de choix. Les Allemands, bien conscients qu’une invasion est imminente, ne savent ni où ni quand elle aura lieu. L’endroit le plus logique est sans conteste le Pas-de-Calais, la côte ouest de la frontière belge, là où La Manche est la moins large et l’itinéraire vers l’Allemagne est le plus court.

Les Alliés, toutefois, ont l’œil sur la Normandie, plus à l’ouest. Au jour J, ils tenteront le débarquement de plus de 156 000 soldats, dont 6 divisions d’infanterie et des unités blindées, sur 5 plages le long des 100 km de la côte et derrière les lignes ennemies. Les Forces américaines attaqueront les plages baptisées Utah et Omaha; les Britanniques prendront d’assaut Gold et Sword; une division canadienne investira la plage répondant au nom de code Juno. Un bataillon de parachutistes canadiens doit également atterrir derrière les lignes allemandes, accompagné par trois divisions de parachutistes américains et britanniques, tout près de la Force d’invasion principale. Cette campagne détient le record de la plus grande invasion amphibie de l’histoire. Plus de 14 000 soldats canadiens débarquent ou sont parachutés dans la zone d’invasion française au jour J. La Marine royale canadienne contribue à hauteur de 110 navires et 10 000 soldats, et l’ARC fournit 15 escadrons de chasseurs et de chasseurs-bombardiers pour l’assaut.

Plan de l'invasion de Normandie avec les forces alliées.

Le secret est vu comme une condition essentielle au succès de la mission : dans le but de convaincre l’Allemagne qu’une invasion se prépare à Pas-de-Calais, on construit une fausse armée de chars, camions et autres équipements en bois et en papier mâché. Entre-temps, la vraie Force d’invasion s’assemble au sud-ouest de l’Angleterre, région qui est entièrement encerclée par les autorités militaires.

Les soldats dans les camps étudient de fond en comble des cartes, des photographies et des maquettes des plages d’invasion construites à partir de renseignements méticuleusement récoltés des mois durant. Les photographies et les maquettes montrent le plan des côtes normandes et les points d’intérêt importants, les maisons, les clochers d’église et promontoires, de façon à ce que chaque officier et soldat connaisse ses objectifs et ce à quoi il doit s’attendre.

LE SAVIEZ-VOUS?
Ernest Adolphe Côté est un important membre des Forces armées canadiennes. Lieutenant-colonel de la 3e Division d’infanterie canadienne, il est responsable de la logistique et de l’approvisionnement d’environ 15 000 soldats et rend compte au commandant de la préparation et de la mise en application des plans administratifs en appui des opérations militaires. Il fait partie du nombre restreint d’officiers informé de la date et du lieu de l’invasion du jour J et, en tant que telle, planifie secrètement la logistique de cet événement pour sa division.


La grande majorité des hommes de la 3e Division d’infanterie qui vont sur les rives de Juno Beach n’ont aucune expérience de combat. Fred Moar, lieutenant du North Shore Regiment du Nouveau-Brunswick, ne fait pas exception à la règle. Pendant plus d’un an, les troupes s’entraînent en Écosse et en Angleterre : « Nous n’avions aucune idée de ce qui nous attendait, dit Moar, mais nous étions prêts à tout. Nous nous croyions les meilleurs. »

C.R. Rizza

Juno Beach : le Canada au jour J

D’abord prévue pour le 5 juin, l’invasion est repoussée à cause du mauvais temps. Finalement, aux premières heures du 6 juin, le jour J, des vagues de planeurs et d’avions commencent le largage des parachutistes dans les campagnes normandes. Beaucoup d’entre eux manquent leurs cibles à cause des tirs antiaériens et de la confusion générale. Plusieurs parachutistes meurent noyés après avoir atterri dans des champs inondés par les Allemands.

Jan de Vries, 1944

Jan de Vries, membre du 1er Bataillon parachuté du Canada, atterrit à quelques kilomètres de son point de chute prévu. « Je me suis demandé où je pouvais bien être quand j’ai mis les pieds à terre, dit-il. J’ai passé la nuit à chercher mon chemin dans le noir et à éviter les patrouilles ennemies pour me rendre à mon point de chute, près de la côte. »

Sur la Manche, une flotte de plus de 6 900 navires, dont 110 vaisseaux de guerre canadiens, s’approche de la côte à mesure que le jour se lève. Tom Gunning, un marin de 18 ans à bord de la frégate HMCS Cape Breton, est subjugué par la vue. «  C’est impossible de décrire la Force de ce moment-là », dit-il.

Après le bombardement aérien et naval des défenses côtières allemandes, on lance la première vague de navires de débarquement remplis de soldats nerveux et, souvent, atteints du mal de mer. Les bombardements alliés n’étant pas parvenus à détruire les postes de défense ennemis, les soldats font face à une résistance féroce. En effet, à leur arrivée sur les plages, ils doivent se débattre dans des eaux leur arrivant à la poitrine tout en évitant les tirs ennemis. Sur Juno Beach, les troupes canadiennes affrontent l’artillerie, les mitraillettes, les pièges et les mines allemandes, mais c’est le débarquement d’Omaha Beach qui se révèle le plus difficile de tous : les troupes américaines accusent de graves pertes d’abord sur le sable, puis sur les escarpements surplombant la plage. Plus de 2 000 Américains périssent ou sont blessés avant qu’Omaha ne soit conquise, colorant de leur sang les eaux agitées de La Manche (voir La crainte et le courage en Normandie).


Au total, on compte quelque 10 000 victimes alliées lors du jour J, dont 1 074 Canadiens sont blessés. De ce nombre, 359 sont des Canadiens tombés au combat. Des centaines d’Allemands sont aussi tués ou capturés, et des civils français meurent sous le coup des projectiles et des bombes qui pleuvent sur les villages environnants (voir Maison des Canadiens). Bien qu’aucune des Forces alliées ne soit parvenue à gagner le terrain désiré au jour J, une tête de plage est établie, et permet à des vagues successives de troupes, de chars et d’équipements d’artillerie et autres d’arriver sur les rives. À Gold Beach, les Britanniques commencent à construire les ports artificiels de Mulberry à partir d’énormes pièces de barges remorquées depuis La Manche. (Voir Juno Beach : Jour du courage)

Ce soir-là, le Toronto Daily Star titre : « Une fissure dans le mur de l’Atlantique ».

(Voir aussi Juno Beach)

Campagne de Normandie

Si le jour J est un succès, on ne peut pas en dire autant des premiers efforts des Alliés pour libérer la Normandie et poursuivre leur avancée vers l’Allemagne. Dwight Eisenhower et le général britannique Bernard Montgomery prévoient que leurs troupes auront traversé la France en quelques semaines. En réalité, il faut un été complet de combats intenses contre des divisions blindées nazies souvent aguerries pour que les Alliés quittent finalement l’étroit pont de plage de Normandie.

Pendant que les Américains à l’extrémité ouest du front peinent à conquérir la précieuse ville portuaire de Cherbourg, les Britanniques et les Canadiens guerroient pour la capitale normande, Caen, qui est l’objectif initial manqué du jour J. La première semaine suivant le jour J, les Forces canadiennes sont à l’avant-garde de l’avancée vers Caen. Elles rencontrent une opposition farouche de la part de la 12e Division blindée, tristement célèbre pour avoir exécuté plus de 156 soldats canadiens faits prisonniers la même semaine. (Voir aussi Massacres de Normandie)

Le 4 juillet, des troupes canadiennes, déjà épuisées par des semaines de combats ardus, lancent l’attaque sur l’aéroport de Carpiquet, en banlieue de Caen. Le major Lockie Fulton, qui a pris d’assaut Juno Beach avec les Royal Winnipeg Rifles, sort le seul officier survivant de sa compagne. Il appellera ce jour « son pire jour de toute la guerre ».

Conrad Landry, Régiment de la Chaudière
Conrad Landry (4ème à gauche) et d’àutres soldats à bord du SS Lovat, quittant les Îles-de-la-Madeleine au Québec, en direction de l'Angleterre en juillet 1941.
(Conrad Landry/Le Projet Mémoire)

CONRAD LANDRY, Régiment de la Chaudière
Conrad Landry était membre de la troisième division du Régiment de la Chaudière. Il a pris part au Débarquement en Normandie : « Nous avons débarqué, on était là à Bernières-sur-Mer. Là, ça a pris jusqu’à trois heures, je ne savais pas trop quoi faire. On était pris là sur le bord, on avait le derrière à l’eau. » Dans son témoignage, M. Landry décrit comment ses expériences à Juno Beach et dans « l’enfer de Carpiquet » l’ont affecté pendant le reste de sa vie. « On ne peut jamais être heureux après ça. J’ai été aux Îles-de-la-Madeleine après la guerre. Personne ne connaissait rien de ça. Pas de docteur. Ils savaient qu’on avait été à la guerre. Ils savaient qu’on avait nos deux bras et nos deux jambes. On était supposé d'être correct. J’ai toujours été en dépression depuis ce temps-là. Je n’ai jamais été capable d’être heureux depuis ce temps-là, mais je suis encore en vie et j’ai 93 ans. » Écoutez son histoire sur l’archive en ligne du Projet Mémoire.


La chute de Carpiquet d’abord, puis de Caen, arrive au début de juillet. Les vétérans du jour J et les soldats novices de la 2e Division d’infanterie ne connaissent pas de repos : sous les ordres du commandant de la 1re armée canadienne, le général Harry Crerar, les Canadiens (soutenus par les Britanniques, les Polonais et d’autres formations) font leur chemin de bataille en bataille, attaquant de hauts points stratégiques et des intersections au sud de Caen, à Vaucelles, et aux crêtes de Bourguébus et de Verrières.

Au début d’août, les armées alliées lancent un mouvement de tenailles important; les Britanniques, les Canadiens et les Polonais marchent vers Falaise au sud, et les Américains, ayant enfin réussi à briser les lignes ennemies à l’ouest, encerclent ce qu’il reste de l’armée allemande en Normandie par le sud et l’est. La Poche de Falaise, par où les Allemands battent en retraite, est fermée le 20 août grâce à la collaboration des Forces américaines, canadiennes et polonaises. Désespoir et confusion se manifestent durant les derniers jours de la bataille, alors que les Alliés tentent de coincer les Forces allemandes en fuite. Malgré le chaos, le major David Currie, du South Alberta Regiment, réussit à conquérir et à conserver, avec son lieutenant, l’un des villages importants de la Poche, un exploit qui lui vaut d’ailleurs la croix de Victoria.

Marc-Édouard Barrette, Corps médical militaire royal du Canada
Marc-Édouard Barrette, un membre québécois du Corps médical militaire royal du Canada, était infirmier pendant la Deuxième Guerre mondiale.
(Marc-Édouard Barrette/Le Projet Mémoire)

MARC-ÉDOUARD BARRETTE, Corps médical militaire royal du Canada
Marc-Édouard Barrette, un membre québécois du Corps médical militaire royal du Canada, était infirmier pendant la Deuxième Guerre mondiale. « Le premier matin [6 juin 1944], paraît que ça a été terrible. Apparemment, j’ai oui dire qu’on a eu trois milles morts le matin même du débarquement. Ça, je ne peux pas le faire certifier, mais je sais que ça s’est dit couramment à travers nous autres….quand on a arrivé pour la guerre là, là c’était de la transfusion de sang sur le champ. Parce qu’on ne pouvait pas toujours être logé pour faire la transfusion de sang. Fais que, quand il n’y avait pas de maison pour ça, il fallait monter une tente pis les docteurs passaient pis ils les examinaient. Pis ils disaient : « Bon ben là, ce gars-là mettez-y deux transfusions pis si la deuxième ne fait pas, s’il en prend un troisième, habillez-le et renvoyez ça quinze, vingt milles en arrière. » Qui était du terrain conquis. » Écoutez son histoire sur l’archive en ligne du Projet Mémoire.


Après-guerre et commémoration

La campagne de Normandie arrive enfin à sa conclusion le 21 août 1944. Au même moment, la fermeture de la Poche de Falaise, en grande partie à cause des Canadiens, permet la capture d’environ 150 000 soldats allemands. La poursuite de l’ennemi aux Pays-Bas, en Belgique et en Allemagne peut désormais commencer.

Au total, on évalue le nombre de victimes allemandes (décédées ou blessées) en Normandie à plus de 200 000. Les Alliés, quant à eux, dénombrent 209 000 victimes sur les 2 millions de soldats débarqués en France depuis le jour J. De ce nombre, 18 700 victimes sont Canadiennes, dont plus de 5 000 sont tombés au combat.

Dans les décennies qui suivent la Deuxième Guerre mondiale, les historiens canadiens considèrent la longue et torturée campagne de Normandie comme un succès mitigé. Les armées canadiennes et britanniques sont accusées d’être mal entraînées, peu agressives au combat et mal dirigées. C. P. Stacey, l’historien de guerre officiel du Canada, prétend que les Forces mieux entraînées et endurcies de l’Allemagne ont succombé non pas à l’infanterie ou aux unités blindées, mais aux Forces aériennes alliées et à leur « supériorité numérique et matérielle. »

Plus récemment, cette idée reçue a été remise en question par l’historien Terry Copp, un des experts canadiens sur la bataille de Normandie. Dans Fields of Fire : The Canadians in Normandy, son livre paru en 2003, il affirme que les Canadiens et autres alliés faisaient face non seulement à un ennemi formidable avec des armes et des chars supérieurs, mais se retrouvaient aussi dès le jour J devant des objectifs et des territoires à capturer d’une exceptionnelle difficulté. Il ajoute que, tout au long dans la campagne, les avions alliés tant vantés n’ont pas infligé autant de dommages sur les positions ennemies qu’on aimerait le croire.

« Nous nous sommes trompés. Nous ne sommes pas tous des héros, affirme Terry Copp. Mais, somme toute, ce que nous avons accompli est absolument énorme. »

Les sacrifices du Canada en Normandie sont commémorés par plus d’une douzaine de monuments, cénotaphes et cimetières de guerre un peu partout dans la région, sans compter les plus importants cimetières de guerre canadiens à Bény-sur-Mer et Bretteville-sur-Laize. Le Centre Juno Beach, un musée privé à Courseulles-sur-Mer, rappelle aussi le rôle-clé du Canada en Normandie.

Le jour J

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