Nationalisme économique | l'Encyclopédie Canadienne

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Nationalisme économique

Le nationalisme économique vise à renforcer la mainmise du Canada sur son économie. Il apparaît ces derniers temps en réponse à la forte présence étrangère (surtout américaine) dans l'économie canadienne.

Nationalisme économique

Le nationalisme économique vise à renforcer la mainmise du Canada sur son économie. Il apparaît ces derniers temps en réponse à la forte présence étrangère (surtout américaine) dans l'économie canadienne. Il existe deux formes de nationalisme économique : d'abord, le protectionnisme commercial, qui remonte au moins à la POLITIQUE NATIONALE de 1879 et qui se manifeste par l'imposition de tarifs douaniers pour favoriser la production intérieure et décourager les importations. Cette politique nationale visait en partie à élargir la base de l'économie canadienne en mettant ce qu'on appelle des « industries naissantes » à l'abri de la concurrence des grandes firmes étrangères mieux établies. Ensuite, le rejet de la mainmise étrangère sur les entreprises canadiennes, un phénomène d'après-guerre pour l'essentiel, bien que, selon l'étude bien connue Canadian-American Industry (1936), il y ait eu des investissements étrangers directs au Canada avant 1940.

Essor des multinationales

La montée rapide de la PROPRIÉTÉ ÉTRANGÈRE dans l'économie canadienne après la Deuxième Guerre mondiale est liée à l'essor des SOCIÉTÉS MULTINATIONALES. Celles-ci se rendent compte qu'il suffit d'implanter et de gérer des usines ou des filiales sur place pour contourner les barrières tarifaires. Devant la prolifération des sociétés étrangères, les tenants du nationalisme économique commencent à s'inquiéter des problèmes créés par ce type d'investissement, en particulier le caractère rachitique et désorganisé du développement économique, et du transfert des décisions économiques vers les sièges sociaux hors du Canada. Ils exigent donc des lois propres à surveiller les activités des multinationales et à freiner la domination étrangère de l'économie.

Armés de la doctrine économique dite « loi des avantages comparés », les libre-échangistes s'attaquent aux deux formes de nationalisme économique en faisant valoir les avantages du commerce « libre et sans entraves » avec toutes les nations. Pour eux, la croissance économique sera optimale lorsque le gouvernement aura réduit au minimum ses restrictions (tarifs sur le flux des échanges commerciaux) et quand tous les pays se spécialiseront dans les produits qu'ils fabriquent le mieux et commerceront librement entre eux. Même si un tel argument n'est valable que pour le protectionnisme commercial, ses partisans l'étendent aux investissements étrangers directs au nom du LIBRE-ÉCHANGE; ainsi, les investissements étrangers ne devraient faire l'objet d'aucune entrave dans la mesure où l'établissement des entreprises étrangères au Canada ne réussit que si ces dernières fabriquent leurs produits à meilleur marché que les fabricants canadiens, ce qui favorise aussi bien les consommateurs que l'économie canadienne. Implicitement, cet argument suppose l'existence d'un environnement économique concurrentiel caractérisé par des marchés libres et des prix flexibles pour les flux des biens et des capitaux. C'est cette hypothèse même que les nationalistes économiques mettent en question en soulignant les caractéristiques économiques et politiques propres à la prolifération des multinationales et à la présence américaine dans l'économie canadienne.

Au cours des dernières décennies, quatre rapports commandés par le gouvernement expliquent les inquiétudes des nationalistes économiques. Intitulé Canada's Economic Prospects (1955-1957), mais connu sous le nom de Commission Gordon, du nom du président de celle-ci, Walter L. GORDON, le premier rapport s'attaque à la vague croissante d'intérêts étrangers dans l'économie canadienne, estimés à l'époque à 40 p. 100 environ. Prudent, ce rapport constate la montée des investissements étrangers directs et les préjudices portés peut-être aux « intérêts canadiens légitimes ». Il recommande la participation des Canadiens, à titre de copropriétaires du moins, dans les filiales canadiennes des sociétés étrangères.

Les gouvernements de l'époque prêtent peu d'attention à ce rapport. Au début des années 60, les antinationalistes, bien représentés par le Pr Harry JOHNSON, tiennent le haut du pavé. Selon Johnson, le nationalisme économique, réaction émotive de la classe moyenne soucieuse de ses intérêts égoïstes, « accule le Canada au fond d'un cul-de-sac étroit et plein de foutaises ». D'après lui, rien ne saurait améliorer plus rapidement la productivité et les revenus des Canadiens et, en particulier, des travailleurs que l'élimination de toutes les entraves au commerce et aux investissements étrangers directs.

Dépendance envers les États-Unis

Les années 60 voient néanmoins l'émergence d'une nouvelle vague de nationalisme économique bien illustrée par un ouvrage regroupant certains des articles publiés par la University League for Social Reform in Nationalism in Canada (1966). Cet ouvrage est suivi, à la fin des années 60 et au début des années 70, de trois autres rapports parrainés par le gouvernement et faisant état de différents problèmes liés aux filiales canadiennes de sociétés étrangères. Par exemple, ces dernières ne mènent aucune activité de recherche et développement et n'ont pas les installations voulues pour ce faire. Elles ne disposent pas non plus de services de commercialisation et d'approvisionnement à part entière, fonctions souvent assurées par la société mère en Europe ou aux États-Unis.

Par conséquent, les initiatives canadiennes en faveur du développement des nouvelles technologies et de la conception et de la commercialisation de nouveaux produits se trouvent retardées. En outre, les cadres et gestionnaires canadiens ne peuvent se réaliser pleinement, et l'industrie canadienne s'adapte mal aux mutations et à la concurrence internationale à force d'intégrer maintes capacités américaines. D'autres problèmes se manifestent également : absence de Canadiens au sein des conseils d'administration des filiales sous contrôle étranger; faibles commandes d'intrants de production auprès des entreprises canadiennes étant donné que les filiales tendent à privilégier les fournisseurs étrangers de la société mère; manipulation des bilans, donc réduction du revenu imposable au Canada, du fait que le siège social peut fixer les prix à la fois des intrants et des extrants (« prix de cession interne ») de ses filiales.

L'extraterritorialité, à savoir la tendance qu'a le gouvernement américain d'invoquer sa compétence légale sur les filiales américaines implantées dans d'autres pays, pose un grave problème politique. En effet, en vertu des Foreign Assets Control Regulations (Trading with the Enemy Act), de la Sherman Act et de l'article 7 de la Clayton Anti-Trust Act, le gouvernement américain se ménage la compétence principale quand il s'agit pour les filiales américaines de décider avec quels pays elles peuvent ou ne peuvent pas commercer, d'envisager la possibilité d'une fusion et de mener d'autres activités diverses. La souveraineté du Canada à cet égard s'en trouve compromise, car malgré les différents arrangements administratifs conclus avec les États-Unis, ce pays réussit à préserver sa juridiction sur les filiales américaines implantées à l'étranger.

Pour s'attaquer à ces problèmes, un certain nombre de politiques sont recommandées à l'issue de trois études commandées par le gouvernement canadien. Dans son rapport de 1968 intitulé PROPRIÉTÉ ÉTRANGÈRE ET STRUCTURE DE L'INDUSTRIE CANADIENNE, la commission d'étude Watkins recommande la création d'un organisme spécial dont la mission sera, entre autres, de coordonner les politiques et les programmes du gouvernement touchant les sociétés multinationales et de recueillir plus d'informations sur leurs activités au Canada afin de permettre au gouvernement de mieux surveiller leur comportement. Reprenant cette recommandation, le rapport Wahn (Onzième rapport du Comité permanent des affaires extérieures et de la défense nationale sur les relations canado-américaines), publié en 1970, prône la participation majoritaire (51 p. 100) des Canadiens dans les filiales étrangères et, à l'instar du rapport Watkins, souligne la nécessité d'une législation rigoureuse pour combattre l'extraterritorialité américaine. En somme, cette législation rendrait illégal tout refus d'exportation de la part d'une société américaine implantée au Canada, peu importe la nature des relations diplomatiques entre le pays acheteur et les États-Unis. Le rapport Wahn propose également de soumettre toute acquisition étrangère d'entreprises canadiennes à l'approbation d'un organisme de supervision, comme le recommandait le rapport Watkins, et de placer désormais certains « secteurs clés » de l'économie à l'abri de toute prise de contrôle.

Le rapport Gray (1972), qui porte le nom de Herb GRAY, président du groupe de travail en charge des Investissements étrangers directs au Canada, recommande de nouveau la création d'un « organisme d'examen », mais précise aussi les éléments à prendre en considération avant d'accepter ou de refuser un projet d'investissement étranger direct. Par exemple, une entreprise étrangère qui souhaite acquérir ou implanter une usine au Canada se verrait inviter à justifier son projet selon certains critères : nécessité de sa gamme de produits (s'agit-il de produits déjà disponibles sur le marché canadien?); nature de la technologie envisagée par rapport à celle déjà existante au Canada; possibilités d'emploi; projets de recherche et développement; innovation de produits et plan d'approvisionnement (matières, composants et services) au Canada.

Ces trois rapports cristallisent le sentiment nationaliste de diverses manières dans les années 70 et font éclore plusieurs organismes et groupes de pression comme le COMITÉ POUR L'INDÉPENDANCE DU CANADA (CIC). Formé en 1970 et regroupant des membres issus de professions et d'horizons géographiques divers, sans oublier les trois principaux partis politiques, ce comité se donne pour mission de mobiliser les citoyens préoccupés en faveur d'une campagne visant à pousser les pouvoirs publics de tout le pays à adopter « des politiques législatives propres à réduire la mainmise des puissances étrangères sur la vie canadienne ». À cette fin, le CIC consacre de nombreux ouvrages au nationalisme économique et constitue un important forum pour les politiques nationalistes proposées.

Créée en 1974 à la suite des recommandations réunies dans les rapports Watkins, Wahn et Gray, l'AGENCE D'EXAMEN DE L'INVESTISSEMENT ÉTRANGER (AEIE) entreprend la révision de tous les projets de prise de contrôle par des intérêts étrangers ou d'établissement de nouvelles entreprises étrangères au Canada afin d'en dégager tous les avantages possibles pour les Canadiens. Organisée selon les recommandations du rapport Gray et présidée d'abord par Herb Gray, l'AEIE doit revoir en 1982 son processus d'examen jugé trop long par les entreprises canadiennes et étrangères, qui y voient aussi une entrave aux nouveaux investissements étrangers directs. Abrégé et simplifié, le processus d'examen des « petites entreprises » s'applique désormais à tout projet d'entreprise comptant moins de 5 millions de dollars d'actif brut et de 200 employés, contrairement au plafond précédent de 2 millions de dollars et de 100 employés.

Enfin, le PROGRAMME ÉNERGÉTIQUE NATIONAL (PEN), lancé en 1980 par le gouvernement libéral, est un autre fruit du nationalisme économique. Ce programme vise à assurer la sécurité des approvisionnements énergétiques du Canada (en particulier, à mettre fin à sa dépendance à l'égard des approvisionnements mondiaux en pétrole et en gaz naturel) et à offrir aux Canadiens la possibilité de renforcer leur contrôle de l'industrie énergétique. L'objectif initial est de contrôler, en 1990, la moitié de la production canadienne de pétrole et de gaz naturel. Grâce à une nouvelle taxe imposée à tous les producteurs de pétrole et de gaz naturel, le gouvernement peut financer son Programme d'encouragement du secteur pétrolier (PESP) en redistribuant les recettes aux entreprises canadiennes qui investissent dans l'industrie énergétique. Au cours des deux premières années du PESP, le contrôle canadien du secteur énergétique passe de 22,3 p. 100 à 33,1 p. 100.

Les adversaires du gouvernement libéral critiquent cependant vivement le PEN en prétendant que l'acquisition des avoirs étrangers ne peut se faire qu'à des prix exorbitants et à des taux d'intérêt extrêmement élevés. Ils affirment aussi que ce programme paralyse financièrement les sociétés d'énergie canadiennes en les obligeant à dépasser leurs possibilités d'investissement, et qu'il n'est rien d'autre qu'une gigantesque « machine à sous » pour le gouvernement fédéral. Les défenseurs du PEN admettent que la malchance et les taux d'intérêt élevés ont certes ébranlé le programme, mais ils maintiennent toutefois la nécessité de ce dernier si l'on veut que les Canadiens profitent des milliards de dollars qui autrement se seraient trouvés exclusivement entre des mains étrangères. Arrivé au pouvoir, le gouvernement de Brian Mulroney remplace le PEN par une nouvelle initiative en faveur du LIBRE-ÉCHANGE avec les États-Unis.

Il importe de réaliser qu'on peut mieux comprendre le nationalisme économique dans le contexte général de la dépendance du Canada envers les États-Unis. En effet, dans de nombreux domaines (spectacle, édition, magazines, éducation, défense, médias, etc.), l'influence américaine menace de devenir écrasante, donnant ainsi du poids aux arguments des nationalistes économiques soucieux avant tout de préserver le mode de vie canadien. Bref, ce qui, aux yeux des antinationalistes, n'est qu'un protectionnisme étroit au détriment du bien-être économique des Canadiens pourrait être perçu davantage comme un contre-mouvement visant à protéger la société et la souveraineté canadiennes.

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