La guerre du cochon | l'Encyclopédie Canadienne

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La guerre du cochon

La « guerre du cochon » de 1859 est un affrontement entre les États-Unis et la Grande-Bretagne ayant pour objet l’établissement de la frontière internationale dans les îles de San Juan. Ce conflit éclate lorsqu’un colon Américain tue un cochon qui appartenait à un employé de la Compagnie de la Baie d’Hudson; la situation s’envenime rapidement et engage la participation de bâtiments de guerre britanniques, ainsi que des centaines de soldats des deux camps. Ce conflit prend sa source dans un compromis entre ces deux nations, lequel établit le partage des îles contestées entre les colons américains et britanniques. Bien qu’il soit qualifié de guerre, ce désaccord ne dégénère jamais vraiment en combat armé et n’entraîne aucune perte humaine. Fin 1859, les deux camps s’entendent sur une occupation militaire conjointe des îles de San Juan jusqu’en 1872, où celles-ci deviennent un territoire américain.

Îles de San Juan

Les îles de San Juan forment un archipel situé sur la côte du Nord-Ouest, entre l’État américain de Washington et l’île de Vancouver, en Colombie-Britannique. Cet archipel comprend l’île d’Orcas, l’île de San Juan, l’île Lopez et l’île Shaw. Ces îles font partie des terres ancestrales du peuple salish de la côte. L’explorateur espagnol Francisco de Eliza est le premier, en 1791, à cartographier ces îles; il leur donne le nom de « San Juan ». L’année suivante, les Espagnols et les Britanniques (sous la gouverne de George Vancouver) poursuivent l’exploration de la région. Des colonies britanniques et américaines s’établissent peu de temps après.

Contexte

La guerre du cochon a pour origine un différend relatif à la frontière de l’Oregon. Pour une grande partie de la première moitié du 19e siècle, les États-Unis et la Grande-Bretagne sont en désaccord quant à la limite nord exacte du territoire de l’Oregon. La Convention anglo-américaine de 1818 autorise les citoyens de ces deux pays à partager le territoire contesté et leur donne accès aux voies navigables de la région.

Le traité de l’Oregon de 1846 règle en partie la question; sa formulation reste toutefois vague. Le traité établit que la frontière entre ces deux pays s’étend le long du 49e parallèle de latitude à l’ouest, jusqu’au « milieu du canal qui sépare le continent de l’île de Vancouver », au sud longeant le canal qui mène au détroit de Juan de Fuca, puis jusqu’à l’océan. Le problème réside dans le fait qu’il est question de deux canaux, le détroit Rosario et le détroit Haro, mais le traité ne précise pas lequel; les îles de San Juan sont situées entre ces deux canaux. Les Britanniques préfèrent emprunter le détroit Rosario, faisant ainsi des îles de San Juan leur territoire. Les Américains préfèrent quant à eux le détroit Haro, ce qui place ces îles sur leur territoire.
Les colons britanniques commencent activement à s’établir lorsque la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH) installe un poste de fumage de saumon en 1851, puis un élevage de moutons en 1853, l’année même où les Américains revendiquent l’île de San Juan. En 1859, on dénombre entre 14 et 30 Américains qui y résident également. Les autorités britanniques considèrent qu’il s’agit de citoyens américains qui squattent illégalement.

Abattage du cochon

Le 15 juin 1859, un cochon s’échappe dans le carré potager d’un fermier américain prénommé Lyman Cutler (ou Cutlar). Ce n’est pas la première fois que ce cochon s’y hasarde, à la recherche de pommes de terre. Lyman Cutler en a assez et abat l’animal d’un coup de fusil. Le cochon était la propriété de Charles Griffin, un employé britannique de la CBH, qui confronte alors Lyman Cutler. Même si ce dernier lui offre un dédommagement de 10 dollars, Charles Griffin demande davantage d’argent et finit par dénoncer Lyman Cutler aux autorités britanniques, qui menacent alors de l’arrêter.

Montée des tensions

Un commandant militaire américain réplique en envoyant 64 soldats sur l’île pour défendre les colons de son pays. Cela amène James Douglas, gouverneur de l’île de Vancouver, à envoyer la frégate HMS Tribune sur l’île, avec pour consigne d’expulser les soldats américains. D’autres bâtiments de guerre se joignent bientôt à cette opération. Les tensions s’intensifient lorsque les Américains demandent des renforts supplémentaires du continent. À la mi-août, les forces américaines comptent plus de 400 soldats et huit canons, tandis que les forces britanniques présentes dans la région totalisent cinq bâtiments de guerre et plus de 1 000 hommes. Pendant que les Américains construisent des fortifications armées, les Britanniques se livrent à des exercices aux canons. Un conflit majeur semble inévitable.
Des officiers de la Marine royale contribuent grandement à désamorcer la situation. En dépit des pressions exercées par le gouverneur Douglas, le capitaine Geoffrey Phipps Hornby, du HMS Tribune, décide de ne faire débarquer aucun marin avant l’arrivée de son officier supérieur, le contre-amiral Robert L. Baynes, de la Marine royale. Lorsque ce dernier arrive en août, il est sidéré par la situation; il indique au gouverneur Douglas qu’il refuse « d’engager deux grandes nations dans une guerre ayant pour origine une querelle à propos d’un cochon. » Apparemment, d’autres officiers sont du même avis. Malgré la montée des tensions, les officiers britanniques et américains sont en bons termes et prennent part ensemble à des activités sociales et religieuses.


British Officers on San Juan Island


Négociations et résolution du conflit

Lorsque la nouvelle de ce conflit parvient à Washington, D.C., le président américain James Buchanan dépêche le général Winfield Scott, commandant en chef de l’armée américaine. Ce dernier a pour consigne de négocier avec le gouverneur Douglas et d’obtenir la résolution pacifique de ce désaccord. Durant les années 1830, Winfield Scott contribue en effet à résoudre des désaccords frontaliers entre ces deux pays.

Winfield Scott arrive dans les îles de San Juan en octobre 1859. Il s’entend avec le gouverneur Douglas pour réduire le nombre de soldats, d’armes à feu et de bâtiments de guerre dans la région; il est prévu que chaque nation laisse une petite force symbolique et se partage la responsabilité des îles contestées jusqu’à la mise en place d’une solution définitive. L’occupation militaire conjointe perdure les 12 années suivantes. Durant une partie de cette période, les États-Unis sont aussi en pleine Guerre de Sécession (1861-1865).

En 1871, les États-Unis et la Grande-Bretagne négocient le Traité de Washington en vue de régler des revendications opposant ces deux pays, dont la propriété des îles de San Juan. Ils font appel à l’empereur d’Allemagne Guillaume Ier pour résoudre la question. L’empereur organise un comité de trois personnes, qui se rencontrent durant environ une année à Genève, en Suisse. En octobre 1872, ce comité statue que les îles sont un territoire américain.


Camp britannique sur l’île de San Juan