Alfred George Sellers (source primaire) | l'Encyclopédie Canadienne

Project Mémoire

Alfred George Sellers (source primaire)

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

Alfred George Sellers a servi en tant que membre d'équipage de char d'assaut pendant la Deuxième Guerre mondiale. Lisez et écoutez le témoignage d'Alfred Sellers ci-dessous.

Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.

Alfred Sellers
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M. Sellers à côté d'un char Sherman G.G.H.G au cimetière de York, à North York, Ontario, le 11 novembre 2010.
Alfred Sellers
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Photo des plaques d'immatriculation de M. Sellers remise le 1er août 1940, dans les casernes Stanley à Toronto, Ontario.
Alfred Sellers
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Médailles de service de M. Sellers (de gauche à droite): Étoile 1939-45; Étoile d'Italie; Étoile France-Allemagne; Médaille de la Défense; Médaille du Service des Volontaires Canadiens; Médaille de Guerre (1939-45).
Alfred Sellers
Alfred Sellers
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Cessez le feu reçu en Hollande du Nord, le 5 mai 1945.
Alfred Sellers
Al Sellers
Al Sellers
M. Sellers juste après son enrôlement, le 1er août 1940.
Al Sellers
« Je zigzaguais sur cette route et j’ai échappé aux tirs jusqu’à l’intersection. Puis j’ai dû zigzaguer dans le mauvais sens car c’est là que j’ai sauté sur une mine antichar. »

Transcription

Combattre en Italie c’était quelque chose de différent. Ce n’était pas un pays qu’on libérait. Ils se sont rendus parce qu’ils étaient d’anciens alliés d’Hitler, bien sûr, l’Empereur [Japonais] Hirohito faisait partie du même groupe. C’était différent quand on est allés dans le nord-ouest de l’Europe, en Belgique, en France, en Hollande, tous ces pays avaient été occupés. Donc ils ont été libérés. Les gens nous accueillaient bien. En bas, en Italie, les gens nous toléraient.

Être dans un chasseur de char c’était très différent d’une lutte au corps à corps ou proche de l’ennemi comme c’était le cas dans l’infanterie. Notre travail se rapprochait de ce qui se faisait dans l’artillerie. On soutenait une attaque de l’infanterie et plutôt que de voir l’ennemi de près, on regardait une maison à une distance de 500, 1000 m environ ou un char, quelque chose qu’ils ne pouvaient pas manier. Alors on se braquait sur l’une ou l’autre de ces cibles et on y allait jusqu'à ce qu’ils fassent demi-tour ou qu’ils soient hors de combat. Et pour faire ça on dessinait une bille sur la cible. Et on mettait juste le chargeur, le type d’obus à mettre dans le canon. On donnait une distance approximative au canonnier. Le conducteur arrêtait son char et tirait à volonté. Quand le canonnier se sentait prêt, il appuyait son pied sur une détente et on partait.

Mitrailler ça ne consiste pas juste à positionner une mitraillette sur une cible. On faisait des tirs au jugé. Après un certain nombre de coups, la bande de cartouches était équipée de balles traçantes. Et on voyait du rouge ou de l’orange quand ça sortait du canon. Donc le mitrailleur tirait jusqu’à ce qu’il voit ce signal orange sur la cible

La vie dans un char n’avait rien de plaisant. Ils étaient bruyants. Ils sentaient mauvais. Les chenilles s’entrechoquaient. Les bogies [roues sans moteur] vibraient. Nos suspensions grinçaient. Les poulies de tension faisaient beaucoup de bruit, le moteur [?] Mais dans tous nos chars, les moteurs étaient refroidis à l’air. Donc de l’air froid entrait par les ouvertures. Pendant l’hiver, on avait froid. En été, on avait chaud. On portait toujours des gants parce qu’en été le métal chauffait tellement que ça vous brûlait les mains. En hiver, en grimpant dans le char il faisait tellement froid qu’on s’y collait. D’où les gants.

On n’avait pas de W.C. On se servait de ce qu’on avait sous la main, une vieille douille ou une boîte de conserve et elles avaient tendance à se renverser. Donc dans les tourelles de char ça ne sentait pas bon.

On a vu des choses qu’on aurait préféré ne pas avoir vues. On a fait des choses qu’on aurait préféré ne pas avoir faites. Mais je pense que le jour le plus mémorable, c’était le jour où on a eu l’ordre du cessez-le-feu. Après nous être prélassés, personne n’est allé faire de défilé, on n’a rien fait. On était assis et on parlait en se demandant ce qu’on allait bien pouvoir faire après ça. C’est le seul travail qu’on connaissait. Les idées allaient dans tous les sens : « attends voir qu’on rentre, comment est-ce que ça va être? » J’étais dans l’armée pendant cinq ans et demi, donc j’avais perdu le contact avec beaucoup de choses.

Je me souviens on allait, on soutenait un régiment d’infanterie et j’ai roulé à côté de ce groupe de camarades d’infanterie morts. Ils avaient été pris par une mitrailleuse Spandau [Maschinengewehr 08] qui avait une grande capacité de tir. La mitrailleuse a réussi à abattre toute une section de fantassins d’un seul coup, d’une seule volée. J’étais tellement triste de les voir couchés comme ça, tués. Je les vois encore.

À un certain moment j’ai été conducteur de char. C’était un char tactique du quartier général et je roulais le long de la route. Le chef de char et son adjudant étaient occupés à étudier la carte et je suis arrivé sur une route bourrée de mines. Je voyais les mines tout le long de la route devant nous. J’ai arrêté le char et je l’ai signalé et ils m’ont dit : « conducteur avancez ». Je l’ai signalé à nouveau et ils se sont mis en colère et ils m’ont dit : « conducteur avancez ». Et je me suis dit, bon, zut alors, ils doivent savoir. Donc, j’ai descendu la route en zigzaguant et je suis passé à côté de toutes les mines jusqu’à ce que j’arrive au coin. J’avais dû zaguer plutôt que de ziguer et j’ai roulé sur une mine Teller [mine anti-char allemande], elle a explosé et fracturé la transmission ou le différentiel. On était complètement secoués , mes oreilles aussi. Mes yeux étaient pleins de boue, c’est devenu de la poussière en fait. Le bruit était horrible.

Mais le plus drôle dans tout ça, c’était le mitrailleur avant, il était blessé et on essayait de le sortir du char et il criait ; « je saigne, je saigne ». Bon, il croyait que c’était du sang mais ce n’était que de l’huile chaude. Mais il avait les deux jambes cassées. Les mêmes gars, une fois on faisait une marche d’approche en bas en Italie quand la route a été pilonnée au mortier. Elle était sous les tirs. À ce moment, le convoi s’est arrêté. Le Boche a sauté du char pour se soulager et a emmené sa pelle dans les buissons. Quand les obus ont commencé à tomber il s’est dit qu’il valait mieux qu’il reparte. C’était plutôt drôle de voir ce gars avec le pantalon baissé, en train d’essayer de courir avec son pantalon baissé. Il a quand même pensé à emmener une pelle.

La vie dans l’armée c’était toutes les trois choses. C’était une relation d’amour et de haine. Vous apprenez à vous dépêcher et à attendre. En ce qui concerne l’adaptation à la vie de l’armée, non. Pour dire la vérité, je dirais que j’ai aimé ça.