Philosophie : métaphysique et philosophie de la religion | l'Encyclopédie Canadienne

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Philosophie : métaphysique et philosophie de la religion

La métaphysique traite principalement des questions concernant ce qui est essentiellement réel et important. La philosophie de la religion explore et évalue la conception du réel qu'offrent les diverses religions, et s'efforce de comprendre les pratiques religieuses.

Philosophie : métaphysique et philosophie de la religion

La métaphysique traite principalement des questions concernant ce qui est essentiellement réel et important. La philosophie de la religion explore et évalue la conception du réel qu'offrent les diverses religions, et s'efforce de comprendre les pratiques religieuses.

Les deux préoccupations

À partir de 1950, les philosophes de la religion et les métaphysiciens font face à deux problématiques principales : l'acceptation de la méthode scientifique comme modèle de base de la connaissance et la préoccupation des philosophes concernant la théorie du sens. Aucune discipline scientifique ne monopolise l'étude du réel et on avance souvent que les énoncés sur le « réel » sont trop vagues pour être soumis à la vérification scientifique et seraient donc peut-être vides de sens. On reproche à la métaphysique de manipuler le langage au point de le rendre inintelligible et aux grandes religions d'adhérer à des principes qui échappent à la preuve scientifique et qui sont parfois incompatibles avec la science.

La position de la croyance religieuse

Depuis 1950, des attaques vigoureuses ont été lancées contre la croyance religieuse (p. ex., Kai Nielsen, dans Scepticism en 1973 et dans God, Scepticism, and Modernity en 1989) et contre les prétentions empiriques des croyants (p. ex., Michael Ruse, dans The Darwinian Paradigm en 1989). Nombre de philosophes au Canada estiment néanmoins pouvoir résoudre ces antagonismes tout en sauvegardant et en rendant intelligible la croyance religieuse. Cela aboutit à neuf écoles de pensée.

Science et religion
En premier lieu, F.W. Waters, dans The Way In and the Way Out (1967), et Alastair McKinnon, dans Falsification and Belief (1970), signalent que la science et la religion partagent comme caractéristique commune d'être des tentatives faillibles et limitées d'appliquer des principes fondamentaux. Toutefois, ces principes eux-mêmes n'ont rien d'incertain. McKinnon avance donc qu'il incombe au scientifique, qui adhère au principe d'un univers ordonné, et au chrétien, qui adhère à la croyance en Dieu, de s'efforcer de montrer que l'application raisonnable de leur principe rend l'expérience et la vie intelligibles. Dans Religion and Truth (1981), Donald Wiebe préconise de prendre au sérieux la connaissance religieuse et même d'en tirer un savoir scientifique. Il reconnaît la grande complexité de la vérité religieuse, mais il estime que la distinction entre le vrai et le faux doit être le souci principal des érudits dans le domaine. Il déplore fortement que ces érudits tendent à décrire les croyances sans les évaluer.

Idéalisme ou quête de l'ordre naturel

Une deuxième école s'efforce de réhabiliter certains aspects de l'idéalisme qui a prédominé au Canada anglais jusqu'à la Deuxième Guerre mondiale. L'idéalisme revêt plusieurs formes, mais la version canadienne est axée sur le principe selon lequel le réel forme dans son ensemble un tout unifié et rationnel. Les idéalistes affirment que la science et la religion ne sont pas incompatibles, mais font partie d'un système plus global de rationalité, et qu'un ordre naturel préside aux affaires humaines. Cet idéalisme est mis en question par l'évolution de la science (p. ex., la physique quantique) qui reconnaît de l'incertitude au sein du réel, par l'écart croissant entre la description de l'univers par le scientifique et le croyant, ainsi que par les théories qui avancent que les sens (ou les interprétations) sont arbitraires.

Présuppositions humaines et idéalisme

Dans Collingwood and the Reform of Metaphysics (1970), Lionel Rubinoff réplique, à l'instar du philosophe britannique R.G. Collingwood, que notre conception du monde, scientifique ou autre, repose sur des présuppositions humaines. Les diverses conceptions du monde élaborées par la métaphysique et la religion sont intelligibles si elles sont perçues comme des représentations du monde par l'esprit humain à diverses époques. La science est, elle aussi, tributaire d'un processus historique. Au fil de l'histoire, les diverses conceptions du monde laissent entrevoir un modèle que Rubinoff qualifie de structure transcendantale du réel, qui transparaît au travers des préoccupations de l'expérience humaine, mais qui, finalement, les transcende.

Une partie de la controverse entourant la science, la religion et la métaphysique découle du fait que les théories de la logique, du sens et de la vérité sont conçues en fonction de la connaissance scientifique. Dans The Rational and the Real (1962), The Concept of Truth (1969) et Logic and Reality (1972), Leslie ARMOUR avance que ces concepts de logique, de vérité et de sens sont des sous-catégories spécialisées de concepts plus globaux. C'est sur ces derniers que reposent nombre d'idées traditionnelles de la métaphysique et de la religion. De récentes études historiques s'intéressent à la métaphysique idéaliste, notamment Ethics, Metaphysics and Religion in the Thought of F.H. Bradley (1996) édité par P. MacEwan, Bradley's Moral Psychology (1987) de Don MacNiven, Being and Idea (1994) de Leslie Armour et Divine Subjectivity (1990) de Dale Schlitt.

Rapprochement avec la sciencev

Une troisième école, comprenant Thomas GOUDGE et Charles DE KONINCK, vise à se situer dans un cadre scientifique. Dans The Ascent of Life (Prix du gouverneur général, 1961), Goudge tient peu de propos explicites sur la métaphysique et la religion. Il se livre plutôt à un examen minutieux d'aspects de la théorie biologique et dégage certains points où des possibilités conceptuelles demeurent ouvertes. Dans The Hollow Universe (1960), De Koninck insiste sur le fait que la conception scientifique du monde est un moule abstrait et vide, qui n'acquiert un sens que par la voie de l'expérience concrète. Dans une série d'ouvrages, y compris Whitehead's Theory of Reality (éd. rév., 1962), A.H. Johnson s'inscrit dans la tradition du philosophe britannique Alfred North Whitehead, qui voulait passer d'une conception scientifique du monde à une structure plus globale, en montrant où la structure scientifique a besoin d'être complétée par la métaphysique. Les théories de Johnson, surtout présentées dans Experiential Realism (1973), s'inscrivent dans sa tentative d'élaborer une théorie fondamentale du réel par le moyen d'une compréhension adéquate de l'expérience.

Distanciation à l'égard de la science

Une quatrième école, s'inspirant de saint Thomas d'Aquin, cherche à démarquer la science et la théologie, et à comprendre la religion de façon rationnelle. Dans Epistemology (1959), Louis-Marie Régis décrit les formes et les limites de la science. Dans An Interpretation of Existence (1968), Joseph Owens défend l'idée thomiste selon laquelle l'être se prête à une certaine description générale et est à la fois actif et intelligible. Dans L'Éducation à la liberté (1978), Jean-Louis Allard, à l'instar du philosophe Jacques Maritain, montre comment l'ordre dans la vie de chacun confère une intelligibilité aux principes fondamentaux. André Dagenais critique les détails de cette philosophie dans Vingt-quatre défauts thomistes (1964) et Le Dieu nouveau (1974). Man Becoming (1970) et Religion and Alienation (1975) de Gregory Baum représentent un autre type de critique de la tradition thomiste.

Une variante distincte de la tradition thomiste est celle de Bernard Lonergan (Insight, 1952; Philosophy of God and Theology, 1973) et de ses successeurs. Cette variante aborde non seulement la métaphysique, la religion et la théorie de la connaissance, mais aussi l'application des résultats dans divers domaines de recherche. Dans The Intelligible Universe, a Cosmological Argument (1982), Hugo Meynell s'inspire de Lonergan pour avancer que l'intelligibilité de l'univers est un argument pour l'existence de Dieu. Dans un ouvrage plus récent, Is Christianity True? (1994), Meynell revient toutefois à une défense plus traditionnelle de la croyance religieuse.

Mise en question de la métaphysique

Une cinquième école regroupe nombre de philosophes anglophones qui se réclament de la philosophie analytique, un courant fortement influencé par l'Autrichien Ludwig Wittgenstein et les Britanniques Bertrand Russell, G.E. Moore, Gilbert Ryle et J.L. Austin. Kai Nielsen s'appuie sur cette philosophie pour mettre en question les fondements de la religion et de la métaphysique. Dans Paul Tillich (1973), Alistair M. Macleod critique fortement les tentatives visant à répondre à ce que Tillich appelle la question de l'existence. Il reproche à Tillich d'être confus en croyant qu'il n'y a qu'un seul mystère global de l'être, mais il ne va pas jusqu'à récuser toute conception métaphysique ou religieuse du monde. Dans The Mental and Moral Philosophy of John Henry Newman (1986), Jay Newman emploie une méthode semblable d'analyse du rapport entre l'assentiment et la foi.

Malgré l'hostilité habituelle de la tradition analytique à l'égard de la métaphysique et de la religion, nombre de philosophes analytiques canadiens s'efforcent de faire place à la religion. Dans Survival and Disembodied Existence (1970), Terence Penelhum conteste la valeur de certaines croyances religieuses, mais laisse la porte ouverte au discours religieux dans The Problem of Religious Knowledge (1971) et Reason and Religious Faith (1995). Après une période d'affinité avec la nouvelle philosophie analytique au cours de laquelle il publie The Logic of Self-Involvement (1963), Donald Evans se porte à la défense de l'expérience religieuse dans Struggle and Fulfillment (1979), Faith, Authenticity and Morality (1980) et Spirituality and Human Nature (1995). Peu d'ouvrages s'inscrivent dans la tradition du fidéisme analytique, qui met l'accent sur l'autonomie de la foi, quoiqu'on en voie des traces chez Wilfred Cantwell Smith (p. ex., dans Faith and Belief, 1979). Dans Empirisme logique et langage religieux (1976), Pierre Lucier fait le bilan des points forts et des répercussions du courant analytique.

Les philosophes analytiques s'appuient souvent sur l'analyse du langage pour défendre leurs positions essentiellement humanistes contre les déterministes qui, en psychologie et en histoire, prétendent que l'action humaine libre est inintelligible ou impossible (p. ex., William Anglin, dans Free Will and Christian Faith, 1990). Dans Sources of the Self (1989), Charles TAYLOR fait valoir l'importance de comprendre la nature sociale de la personne humaine. La théorie de l'action est une branche de la philosophie qui analyse le langage servant à décrire l'action humaine. Dans Action (1968), Donald Brown examine ce langage de près et conclut que nous ne pouvons pas facilement transposer le langage sur l'action humaine en langage sur les événements, qui est le propre de la science. De même, dans Laws and Explanation in History (1957), William DRAY prétend que les explications de l'histoire humaine ne sauraient se réduire à des lois scientifiques.

Phénoménologie au Canada

En sixième lieu, la philosophie européenne du XXe siècle exerce une forte influence au Canada. Metaphysics and Historicity (1961) d'Emil FACKENHEIM témoigne de l'influence de la phénoménologie allemande, de l'existentialisme français, d'Hegel, ainsi que de la philosophie allemande du XIXe siècle en général. Au Canada français, l'ouvrage le plus complet dans le domaine est Existant et acte d'être (1977-1980) de Benoît Pruche, qui s'inspire aussi fortement de Thomas d'Aquin et d'Aristote. Depuis 1980, nombre de philosophes, tels que Gary Madison (The Hermeneutics of Postmodernity, 1988) et Jean Grondin, subissent l'influence de l'herméneutique, du criticisme et de la philosophie postmoderne. Ces auteurs critiquent fortement l'idée de systèmes métaphysiques et religieux, et Grondin, dans Sources of Hermeneutics (1995), invoque explicitement Kant, Heidegger et Gadamer pour traiter des questions liées à la religion.

Dans Search for Community in a Withering Tradition (1990), Hendrik Hart, qui est fortement influencé par la pensée postmoderne, particulièrement par Richard Rorty, manifeste un penchant fidéiste dans une perspective calviniste. La Philosophie de la religion à la fin du vingtième siècle (1993), publié sous la direction de William Sweet, présente des écrits qui font la critique de certaines de ces questions.

L'idée du soi et la tentative visant à bâtir une anthropologie philosophique (c.-à-d. une théorie de la nature de l'homme) sont des éléments notables d'ouvrages tels que ceux de Jacques Croteau qui, dans L'Homme : sujet ou objet (1981), avance des idées tirées de la phénoménologie européenne dans un contexte influencé par Thomas d'Aquin et Maritain. Dans La Genèse du concept du soi (1980), René l'Écuyer établit des liens entre la psychologie expérimentale et les idées de divers philosophes, soulevant plusieurs questions sur lesquelles se sont penchés les existentialistes. Dans The Art of Art Works (1982), Cyril Welch applique d'autres aspects de la même tradition à notre compréhension de l'art et de la façon dont cette compréhension transforme la réalité. Par ailleurs, l'existentialisme et la phénoménologie ont aussi fait l'objet de critiques dans French Existentialism (1961) de F. Temple Kingston, par exemple. Dans De la dignité humaine (1995), Thomas De Koninck adopte le thème de la dignité humaine dans son étude approfondie des questions fondamentales de la métaphysique et de la religion. En 1996, son ouvrage remporte le prix de philosophie, de morale et de sociologie de l'Académie française (le prix La Bruyère).

Rationalisme

En septième lieu, on assiste depuis peu à un retour de la métaphysique rationaliste, dont les représentants par excellence sont Leibniz et Spinoza, des philosophes des XVIIe et XVIIIe siècles. Ce mouvement, qui s'appuie généralement sur des techniques analytiques et logiques modernes, est dirigé par John Leslie et Helier J. Robinson. Les rationalistes affirmaient qu'il fallait commencer par s'interroger sur ce qui est logiquement possible plutôt que sur ce qui semble exister. Ils adhéraient au principe voulant que chaque chose ait une explication et que, si quelque chose n'existe pas, c'est qu'il en est empêché par quelque chose d'autre.

Dans Value and Existence (1979), Leslie préconise la réintroduction du principe de la valeur dans de telles discussions. Dans Renascent Rationalism (1975), qui est aussi une tentative visant à rendre l'expérience intelligible, Helier J. Robinson reconnaît que nous ne pouvons dire si oui ou non un dieu existe en dehors de l'univers, mais il estime que nous pouvons affirmer par exemple que, dans un certain sens, un dieu existe au sein de l'univers. Un peu dans le même esprit, Leslie, dans Universes (1989), se déclare partisan d'un principe anthropique et d'une forme de néoplatonisme. Il révise en bonne partie sa cosmologie philosophique dans The End of the World: The Science and Ethics of Human Extinction (1996), qui examine la probabilité et le fondement philosophique des théories sur les perspectives à long terme de la vie humaine.

Compréhension de la croyance religieuse

On porte aussi un intérêt non négligeable à la nature de la pratique et de l'expérience religieuses, où la philosophie est un outil pour comprendre plutôt que pour contester la croyance religieuse. The Moral Mystic (1983), de James Horne (qui a subi l'influence de Tillich et de Martin Buber), et La religion en Occident : évolution des idées et du vécu (1979), de Michel Despland, sont des exemples d'une telle démarche.

Études interculturelles
Enfin, la philosophie de la religion manifeste de plus en plus une teneur interculturelle en réponse au pluralisme religieux. Dans The Philosophy of Religion and Advaita Vedanta: A Comparative Study in Religion and Reason (1995), Arvind Sharma souligne l'importance d'une philosophie de la religion pluraliste et prétend qu'une philosophie de la religion interculturelle peut être normative. Peter Slater, dans The Dynamics of Religion: Meaning and Change in Religious Traditions (1978), et Wilfred Cantwell Smith, dans Religious Diversity (1976) et Towards a World Theology (1981), sont des pionniers de l'étude des traditions religieuses dans une perspective socioscientifique. L'ouvrage le plus récent de Cantwell Smith revêt un intérêt particulier, car il examine la nature de la croyance religieuse et marque un premier pas vers une « religion mondiale unifiée ».

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