Violence politique | l'Encyclopédie Canadienne

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Violence politique

Par violence politique, on entend le recours à la force physique pour obtenir ou empêcher un changement politique ou économique. À cet égard précis, le Canada (contrairement aux États-Unis) apparaît comme un « royaume paisible ».

Violence politique

Par violence politique, on entend le recours à la force physique pour obtenir ou empêcher un changement politique ou économique. À cet égard précis, le Canada (contrairement aux États-Unis) apparaît comme un « royaume paisible ». On n'y trouve pas de révolution sanglante ou de guerre civile généralisée et pas grand-chose qui rappelle l'« Ouest sans foi ni loi ». L'incidence de violences criminelles individuelles y est aussi bien moindre. Néanmoins, l'histoire du Canada est empreinte de beaucoup de violence, surtout collective, par exemple celle utilisée au cours de la guerre, lors du maintien de l'« ordre » (voir AIDE AUX [OU DES] POUVOIRS CIVILS) ou comme instrument politique. La guerre et le souci de la défense armée au nom de la « survie » ou de la « protection des intérêts nationaux » fait partie intégrante de notre histoire depuis la fondation de la Nouvelle-France.

La violence est au rendez-vous des relations turbulentes entre colons et IROQUOIS, des réactions aux attaques et aux escarmouches frontalières provoquées par les Américains dans les années 1770, et de 1812 à 1814, ainsi que dans les années 1830 (voir CHASSEURS, LOGES DES) et 1860 (voir FENIANS). Le Canada est également entraîné dans la GUERRE DES BOERS, la PREMIÈRE GUERRE MONDIALE, la DEUXIÈME GUERRE MONDIALE, la GUERRE DE CORÉE (1950-1953) et dans les activités de MAINTIEN DE LA PAIX des Nations Unies au XXe siècle. En étant membre de l'OTAN (ORGANISATION DU TRAITÉ DE L'ATLANTIQUE NORD) et du NORAD (NORTH AMERICAN AIR DEFENCE AGREEMENT), le Canada reconnaît symboliquement dans la puissance militaire (quelle qu'en soit la forme) la principale expression du pouvoir dans les relations internationales, même s'il est arrivé au gouvernement canadien de rejeter à l'occasion les requêtes de ses principaux alliés pour participer militairement à ce qu'il considérait comme des guerres impériales.

C'est ainsi que sir John A. MACDONALD refuse en 1885 l'envoi d'un contingent canadien en renfort d'une expédition militaire britannique au Soudan. De même, le Canada résiste aux pressions américaines pour obtenir de sa part un soutien au moins symbolique à son intervention au Viêt-nam. Dans ces deux cas, comme dans d'autres cas semblables, on pourrait taxer le Canada d'hypocrisie, dans le premier pour avoir souscrit l'assurance de la Pax Britannica et de la Pax Americana sans en payer les primes, et dans le second pour avoir profité de l'accord de partage de la production de défense des États-Unis.

Les débats relatifs à la défense, depuis les projets de loi sur la milice des années 1860 jusqu'à l'affrontement entre Laurier et Borden sur les contributions navales à la défense de l'Empire et du pays (voir MARINE, PROJET DE LOI D'AIDE À LA), en passant par les crises de la CONSCRIPTION au XXe siècle et les questions liées à la participation du Canada à un système d'alliance reposant sur l'arme atomique, affectent grandement la vie politique canadienne et l'évolution de la Constitution du Canada et de ses relations culturelles internes. Ainsi, le rôle joué par Mackenzie KING dans l'avènement de la DÉCLARATION DE BALFOUR et du STATUT DE WESTMINSTER, tout comme le fait pour lui de s'en remettre à Ernest LAPOINTE pour tout ce qui concerne le Québec, découlent directement de sa perception de l'incidence des engagements militaires sur la politique intérieure et le statut international du Canada.

L'histoire tortueuse et mal connue de la violence collective au Canada révèle une nation qui combine paradoxalement son attachement à l'idée que seul un gouvernement légitimement constitué est légal (et a donc le droit d'utiliser la force pour maintenir l'ordre) et la croyance apparente qu'une société en bonne santé doit s'attendre à voir la concurrence politique et économique engendrer de la violence. En effet, le XIXe siècle et le début du XXe siècle portent les marques d'incidents accompagnés d'intimidations physiques dans les bureaux de scrutin et d'affrontements violents entre les compagnies ferroviaires et forestières, aux intérêts divergents, et entre les grévistes et la milice.

Le discours politique prend à l'occasion des accents violents, comme dans le cas de Joseph HOWE de Nouvelle-Écosse qui, emporté par la colère, laisse entendre que quelqu'un ne tardera pas à « engager un Noir pour cravacher un lieutenant-gouverneur ». De même, certains Canadiens sont portés à honorer des dirigeants historiques connus pour leur opposition violente, comme W.L. MACKENZIE, L.-.J. PAPINEAU et Louis RIEL. Des antipathies religieuses et culturelles provoquent souvent des confrontations violentes. C'est ainsi qu'en 1871, il faut l'intervention massive de la milice pour garantir le transfert de la dépouille du rationaliste Joseph Guibord d'un cimetière protestant vers un cimetière catholique à Montréal. Des émeutes anti-asiatiques éclatent à Vancouver au début du XXe siècle, et des manifestations antisémites, à Toronto et à Montréal au milieu des années 30. Au Canada, les attitudes envers la violence politique et culturelle et envers les actes individuels de violence sont liées à la perception selon laquelle l'ordre social est un préalable incontournable des libertés tant publiques qu'individuelles.

Des textes importants de la Constitution déclarent qu'il n'y a pas de « bon gouvernement » sans « la paix et l'ordre ». La possession d'armes de poing fait l'objet d'une surveillance relativement stricte, et le pouvoir exécutif dispose d'un arsenal de mesures devant prévenir ou contrer le recours à la violence comme arme politique. Le maintien de la LOI DES MESURES DE GUERRE de 1914 et son utilisation en cas d'insurrection « réelle ou appréhendée » permet la suspension de l'habeas corpus par décret en conseil. C'est en vain qu'on cherche à remplacer cette loi par une loi plus restrictive en matière de mesures d'urgence, et cela même si le nouveau gouvernement conservateur se montre en 1985 disposé à appliquer les recommandations de la commission McDonald en faveur de mesures d'urgence excluant les pouvoirs contenus dans la Loi de 1914. Une nouvelle loi, remplaçant celle de 1914, est finalement adoptée à la fin de 1987.

Les Canadiens réagissent de façon caractéristique aux procès politiques et aux actes de violence collective en exigeant l'élimination rigoureuse des manifestations réelles ou appréhendées de cette violence, tout en faisant preuve d'indulgence envers leurs instigateurs une fois la crise passée. Pendant les RÉBELLIONS DE 1837 dans le HAUT-CANADA, seuls 2 rebelles sont exécutés. Dans le BAS-CANADA , 12 sont pendus, mais seulement à la suite d'une seconde insurrection de leur part en 1838 et par crainte d'une intervention américaine. Les rebelles bénéficient de La LOI D'AMNISTIE en 1849.

La confiance qu'inspire l'évolution du système constitutionnel favorise la tolérance envers la contestation des fondements mêmes de cette Constitution et permet des actions politiques qui, sinon, auraient pu être contrées par la force. En 1939, J.S. WOODSWORTH peut ainsi justifier son vote aux Communes contre la déclaration de guerre en affirmant ceci : si l'un ou l'autre de mes fils est « prêt à prendre position au sujet de cette affaire et, si nécessaire, à se retrouver dans un camp de concentration ou devant un peloton d'exécution, je serai plus fier de ce garçon-là que s'il s'enrôle pour la guerre. »

Les jugements des tribunaux canadiens sont très révélateurs des attitudes des Canadiens envers la violence. Le juge en chef du Haut-Canada, John Beverley ROBINSON, qui a combattu sous les ordres de Brock à Detroit et à Niagara, explique à Samuel LOUNT et à Peter MATTHEWS pourquoi leur participation à la rébellion de 1837, dont ils se reconnaissent coupables, doit leur valoir la pendaison : « Vous n'étiez pas les métayers de propriétaires terriens exigeants et exploiteurs, vous n'étiez pas écrasés d'impôts au-delà, peut-être, du versement de quelques shillings par an pour contribuer aux dépenses communes du district dans lequel vous viviez; [...] un travail régulier et appliqué vous aurait toujours garanti l'aisance [...] Vous viviez dans un pays qui garantit à tout homme respectueux des lois la protection de sa vie, la liberté et la propriété [...] Dans un pays qui vous [Lount] a permis d'accéder au privilège honorable de faire des lois qui lient vos compatriotes, il vous incombait de donner l'exemple d'une obéissance fidèle à l'autorité publique. » (Robinson estime aussi qu'« un exemple devait être donné et qu'une condamnation à mort s'impose ».)

En soulignant les interrelations entre ordre, liberté et obéissance aux lois, Robinson fait savoir clairement qu'il n'y a de justification à la violence que s'il est démontré que les moyens constitutionnels de corriger les abus sont hors de portée. Tel semble être le cas en 1869-1870 lorsque Riel obtient par la force le statut de province pour le Manitoba (voir RÉBELLION DE LA RIVIÈRE ROUGE). Cependant, lorsque le « gouvernement provisoire » que Riel réussit à constituer exécute l'orangiste Thomas SCOTT , il enlève toute chance de voir la seconde rébellion des Métis en 1885 (voir RÉBELLION DU NORD-OUEST) bénéficier de la clémence dont auraient probablement fait preuve les autorités. Cela n'empêche pas le jury de Regina de recommander que Riel jouisse de « la clémence de la Couronne », parce que ( tout comme à l'époque et plus tard les opposants au gouvernement fédéral) il attache apparemment du poids à l'argument de Riel qui déclare : « J'ai agi raisonnablement et en état de légitime défense, alors que le gouvernement qui m'accuse de façon irresponsable et donc insensée ne peut qu'avoir mal agi » [traduction libre]. La décision de John A. Macdonald de ne pas commuer la peine capitale de Riel laisse penser que les préjugés et le racisme renforcent le potentiel de violence. Tel est certainement le cas lors des violentes émeutes contre la conscription qui balaient la ville de Québec au printemps de 1918.

La conviction que l'État peut recourir à la force comme arme politique pour mâter les manifestations de violence sert de prétexte à certains gouvernements canadiens, souffrant de préjugés de classe, pour empêcher les travailleurs de protester ou de s'organiser. En 1935, la police de Regina reçoit l'ordre de disperser un groupe imposant de chômeurs qui font route vers Ottawa pour réclamer du gouvernement des mesures de création d'emplois, ce qui déclenche une émeute (voir MARCHE SUR OTTAWA). Toutefois, l'exemple le plus dramatique de ce genre d'incident se produit plus tôt lors de la GRÈVE GÉNÉRALE DE WINNIPEG en 1919. Les meneurs de la grève, qui représentent quelque 30 000 ouvriers réclamant la reconnaissance syndicale et des augmentations de salaire pour compenser la forte hausse du coût de la vie, pratiquent une politique rigoureuse de non-violence. Les dirigeants du monde des affaires, les professionnels et les autorités municipales, provinciales et fédérales, abasourdis par la capacité des grévistes de bloquer de manière pacifique la vie économique de la ville, déclarent que la grève cherche à renverser le pouvoir légal et proclament l'imminence d'une révolution violente. En fait, ce sont les policiers et les soldats qui mettent le feu aux poudres lorsqu'ils reçoivent l'ordre de disperser un « cortège silencieux » organisé par les grévistes et les anciens combattants de la Première Guerre mondiale pour protester contre l'arrestation de leurs dirigeants accusés de sédition. Lorsque la grève s'écroule, huit dirigeants comparaissent en cour; l'un est acquitté et les autres sont condamnés à des peines de prison de six mois à deux ans. Ce qui frappe peut-être le plus dans le déroulement de ces événements est la conviction évidente de la majorité des habitants de Winnipeg que les supposés arguments des autorités ne sont pas fondés.

Trois des dirigeants de cette grève sont élus au parlement du Manitoba en 1920 alors qu'ils sont toujours en prison. J.F. Dixon, acquitté d'une accusation d'écrit séditieux l'emporte à Winnipeg, tandis que J.S. Woodsworth se fait élire député en 1921. La violence collective exercée par l'État se voit condamnée. Durant la même période, l'Assemblée législative de l'État de New York expulse cinq membres dûment élus du Parti socialiste d'Amérique sous prétexte que le socialisme est « tout à fait incompatible » avec les intérêts de l'État.

La relation entre la violence et l'autorité constituée est également à l'origine de la CRISE D'OCTOBRE de 1970 au Québec. À Winnipeg et à Montréal, les autorités disent appréhender une insurrection. À Montréal, le FRONT DE LIBÉRATION DU QUÉBEC professe effectivement sa foi en la violence comme moyen de reconstituer la société. Il a à son actif des attentats à la bombe, un meurtre et des enlèvements. Lorsque le gouvernement fédéral proclame la Loi sur les mesures de guerre à la suite de l'enlèvement de James Cross, le délégué commercial du consulat général de Grande-Bretagne, et que l'armée et la GRC se voient confier des pouvoirs extraordinaires pour rechercher, arrêter et détenir des suspects, beaucoup de gens approuvent ces mesures sévères. Après le meurtre du ministre québécois du Travail, Pierre LAPORTE et la libération de Cross, les mesures de guerre sont levées, et toute personne pouvant prouver qu'elle a subi des dommages par suite d'une arrestation arbitraire n'ayant pas débouché sur une accusation en bonne et due forme se voit offrir un dédommagement. Les deux ordres de gouvernement sont accusés d'avoir agi principalement dans l'espoir de tirer des avantages politiques de la situation, ce qui donne lieu à deux enquêtes importantes. Néanmoins, la controverse qui s'ensuit sur les moyens et les fins de l'État ne changera probablement pas l'attitude traditionnelle de la population à l'égard de la violence et du rôle de l'État.

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