Coopératives du film | l'Encyclopédie Canadienne

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Coopératives du film

Partout où des cinéastes indépendants se réunissent, ceux-ci ont tôt fait de créer des coopératives du film, du moins au Canada. La propriété collective de l'équipement s'avère en effet la solution évidente au problème commun du coût très élevé de la production.

Coopératives du film

Partout où des cinéastes indépendants se réunissent, ceux-ci ont tôt fait de créer des coopératives du film, du moins au Canada. La propriété collective de l'équipement s'avère en effet la solution évidente au problème commun du coût très élevé de la production. Quel que soit l'endroit où on tourne des films, des partenariats de production et des collectifs de médias naissent et se dissolvent spontanément. Au Canada, il est devenu pratique courante d'établir une infrastructure pour aider ces collectifs spontanés à survivre à l'intérêt des membres fondateurs.

Depuis les années 1960, le CONSEIL DES ARTS DU CANADA joue un rôle essentiel dans le soutien des coopératives du film et de la vidéo. Celles-ci sont aussi financées par d'autres organismes comme l'OFFICE NATIONAL DU FILM, les conseils des arts provinciaux ou municipaux, divers programmes gouvernementaux ainsi que des fondations privées. Mais le Conseil des Arts du Canada est de loin le principal bailleur de fonds du mouvement coopératif canadien.

C'est en réponse aux recommandations de la Commission Massey de 1957 que le Conseil des Arts du Canada a été créé en tant qu'organisme de soutien financier aux arts et à la culture au Canada. À la fin des années 1960 et au début des années 1970, un très grand nombre de cinéastes soumettent des demandes de financement, fondées principalement sur leur besoin d'équipement pour produire films ou vidéos. Du matériel dispendieux, pouvant servir à plus d'un projet et commun à la plupart des demandeurs. Le Conseil ne disposait que d'un petit nombre d'options : financer généreusement quelques cinéastes, financer chichement plusieurs cinéastes ou soutenir la propriété collective des ressources et de l'équipement.

Le soutien financier

Le modèle coopératif avait déjà fait ses preuves partout au pays. En 1967, un collectif appelé Intermedia a reçu une subvention unique de 40 000 $ (un montant considérable pour l'époque) dans le cadre du programme de subventions à la culture du Centenaire du Canada. Intermedia était un regroupement peu structuré d'artistes, cinéastes, poètes et interprètes oeuvrant dans les arts des médias. Ce collectif n'a vécu que dix ans. Mais d'autres organisations associées aux médias l'ont remplacé, dont le Western Front, la Satellite Video Exchange Society, Video Inn et la Canadian Filmmakers' Distribution West (aujourd'hui la Moving Images Distribution).

À Montréal, les premières coopératives ont vu le jour dans le cadre d'expérimentations culturelles de l'Office national du film. L'ONF a lancé son programme Construire demain pour « favoriser le dialogue et promouvoir le changement social ». Ce programme avait pour but de permettre aux groupes marginalisés d'avoir accès à des moyens de production. Ce programme a entraîné la fondation du Vidéographe, un centre montréalais de production, de présentation et de distribution de vidéos, ouvert jour et nuit. Lorsque l'ONF a cessé de financer le Vidéographe, le Conseil des Arts a pris la relève, de pair avec des sources de financement provinciales et municipales. Le Québec compte d'autres coopératives dont SpiraFilm à Québec, Main Film à Montréal et PRIM Vidéo, issue de Véhicule Art, un centre autogéré.

À Toronto, des coopératives ont été créées dans différents milieux. Trinity Square Video était un studio et une installation de production communautaire, tandis que la coopérative Charles Street Video a été créée par A Space, un centre autogéré. Dans le domaine du cinéma, deux organisations plus anciennes - la Toronto Film Co-op et Funnel - ont disparu, laissant dans leur sillage la Liaison of Independent Filmmakers of Toronto (LIFT), la plus importante coopérative des arts des médias au Canada.

Où se retrouvent les coopératives

Les très grandes villes n'ont pas le monopole des coopératives. La plupart des villes d'une certaine importance en ont au moins une. Certaines d'entre elles, comme Guelph, n'ont qu'une coopérative de la vidéo (Ed Video); d'autres, comme St. John's, n'ont qu'une coopérative du film (la NIFCO, Newfoundland Independent Filmmakers Cooperative). Quelques-unes en ont plusieurs, comme Ottawa avec l'Independent Filmmakers Cooperative of Ottawa (IFCO), SAW Video et la coopérative des nouveaux médias Artengine, ou comme Calgary qui compte une coopérative du film (la Calgary Society of Independent Filmmakers), une coopérative de la vidéo (EMMEDIA), une station de télévision communautaire (NUTV) et la Quickdraw Animation Society, qui fut la seule coopérative du film d'animation au Canada pendant des années. Winnipeg est également bien dotée avec Video Pool (production, exposition et distribution) et l'enfant-vedette du mouvement coopératif, de renommée internationale, le Winnipeg Film Group dont Guy MADDIN et John Paizs sont membres.

L'Atlantic Filmmakers Cooperative (AFCOOP), la plus ancienne coopérative du film de langue anglaise au Canada, a été créée par 17 cinéastes qui, réunis dans un bar, ont décidé de lancer une coopérative. Moins d'un an plus tard, ils obtenaient une subvention de 50 000 $ du Conseil des Arts du Canada et des centaines de films y ont été réalisés depuis. Entre autres coopératives établies au Canada : le Centre for Arts Tapes à Halifax (vidéo), la New Brunswick Filmmakers' Co-op à Fredericton et la Island Media Arts Co-op à l'Île-du-Prince-Édouard.

Un autre groupe fort intéressant est Igloolik Isuma Productions à Igloolik, au Nunavut. À l'origine une coopérative de la vidéo fondée sur les pratiques de Zacharias KUNUK, Isuma a essaimé en plusieurs coopératives et compagnies de production et a produit le long métrage primé Atanarjuat ainsi que de nombreux documentaires et courts métrages.

Il existe ailleurs au Canada d'autres groupes d'artistes autochtones oeuvrant dans les arts des médias : IMAG (Indigenous Media Arts Group) à Vancouver, Sâkêwêwak à Regina, Urban Shaman à Winnipeg et le Centre for Aboriginal Media (CAM) à Toronto.

De l'équipement et de la formation

Les coopératives du film et de la vidéo ont plusieurs choses en commun. Les membres peuvent louer de l'équipement de production et de postproduction, y compris des caméras, microphones, projecteurs et salles de montage. Les tarifs de location des coopératives sont généralement très inférieurs à ceux des entreprises commerciales de location, mais les coopératives exigent que l'équipement ne soit utilisé que dans le cadre de projets indépendants, menés par des artistes, et non pas comme matériel bon marché pour des projets strictement commerciaux. La Saskatchewan Filmpool, à Regina, est la seule à ne facturer aucuns frais de location à ses membres; d'autres centres estiment que les recettes de la location représentent une trop grande part de leur budget pour que ce modèle puisse leur convenir. Les coopératives de production fournissent une formation sur la façon d'utiliser leur équipement.

Dans les villes de taille moyenne, les coopératives sont parfois les seules institutions à fournir une formation dans les arts des médias et cet enseignement devient une composante importante de leur rôle dans la communauté. Bien que la formation n'ait pas fait partie de la fonction des coopératives telle qu'envisagée initialement par le Conseil des Arts, ce rôle plaît beaucoup à certains bailleurs de fonds régionaux ou responsables du financement d'institutions d'enseignement. Même dans les villes plus importantes, la formation purement technique a pris de l'essor à la fin des années 1990 à la faveur de la « convergence numérique » qui a entraîné une poussée de nouvelles acquisitions, alors que les artistes plus chevronnés ont senti le besoin de se familiariser avec ces nouveaux outils.

Les centres présentent aussi de nombreux ateliers artistiques, des artistes invités, des stages et des visionnements. La nature particulière de cette programmation change avec le temps et d'un centre à l'autre. Bon nombre de ces coopératives projettent des oeuvres d'autres coopératives, souvent reçues par l'intermédiaire de nombreux centres de distribution autogérés.

Le plus vieux distributeur est le Canadian Filmmakers Distribution Centre (CFMDC), situé à Toronto et fondé en 1967. Son bureau de l'Ouest canadien, CFMDC West à Vancouver, s'est détaché pour devenir Moving Images Distribution à la fin des années 1980. Parmi les autres distributeurs de films, mentionnons Winnipeg Film Group et Cinéma Libre à Montréal. Il y a aussi de nombreux distributeurs de vidéos dont Vtape à Toronto, Vidéographe à Montréal et Video Pool à Winnipeg, qui est le principal distributeur de vidéos dans les provinces des Prairies. Plusieurs coopératives de production distribuent aussi les oeuvres de leurs membres.

La plupart des coopératives financent d'une manière quelconque les productions de leurs membres, que ce soit en finançant la production, en leur passant des commandes ou en réduisant ou éliminant les tarifs de location. Les activités bénévoles sont récompensées par des tarifs de location réduits. À Terre-Neuve, grâce à l'intéressant programme d'aide de la Newfoundland Filmmakers Cooperative (NIFCO), les nouveaux cinéastes peuvent obtenir 400 pi de pellicule, l'usage gratuit de l'équipement et une équipe de tournage, ce qui leur permet de réaliser leur premier film presque sans frais. Certains centres font l'essai de nouveaux modèles de soutien à la production. À Montréal, Les Films de l'Autre, une compagnie de production gérée par des artistes, est structurée de telle sorte que les projets de film sont admissibles à des crédits d'impôt et à des possibilités de financement par la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) et Téléfilm Canada.

Une organisation nationale

En 1980, lors du Yorkton Short Film Festival, en Saskatchewan, les représentants d'une douzaine de coopératives se sont réunis pour former une organisation-cadre nationale regroupant les coopératives du film et de la vidéo canadiennes. Appelée l'Alliance de la vidéo et du cinéma indépendants (AVCI), elle parraine une conférence annuelle et défend les intérêts des organisations membres. L'AVCI a graduellement inclus des groupes représentant des artistes de l'audiovisuel et des nouveaux médias, si bien qu'en juin 2003 elle a changé de nom pour devenir l'Alliance des arts médiatiques indépendants. Elle représentait alors plus de 80 organisations membres, lesquelles représentaient elles-mêmes plus de 5000 artistes des arts des médias. Les nouvelles organisations comprennent des centres de nouveaux médias, de sociétés de visionnement et des festivals à créneaux.

La convergence numérique

Au cours des années 1970 et 1980, les coopératives du film et de la vidéo sont demeurées distinctes les unes des autres (à quelques exceptions près, comme la FAVA à Edmonton qui a la double vocation). La pratique de la vidéo a plus à voir avec les arts visuels qu'avec le cinéma, et les bandes vidéo étaient plus susceptibles d'être vues dans une galerie que dans une salle de cinéma. De nombreuses coopératives de la vidéo et des nouveaux médias sont issues de centres pour les arts visuels gérés par des artistes et cet héritage continue d'inspirer leurs travaux.

Les artistes qui travaillaient dans le cadre de coopératives du film destinaient généralement leurs oeuvres à des auditoires classiques de cinéphiles, que ce soit ceux de salles de cinéma, d'universités ou même de la télévision, c'est-à-dire des auditoires distincts de ceux de la vidéo. Malgré la similarité fondamentale des deux types de projection animée, le film et la vidéo se distinguaient par leurs manières de faire, leurs champs d'intérêt et leurs technologies.

Dès la fin des années 1990, cependant, les technologies ont commencé à se fondre l'une dans l'autre. Les Avids ont supplanté les Steenbecks et l'analogique a fait place au numérique. Le gros des travaux de postproduction en est venu à se faire à l'ordinateur et, grâce à une poignée de films à succès générés par la vidéo (Hoop Dreams, Celebration, The Blair Witch Project), il n'était plus ridicule d'envisager la projection en salles de cinéma de films tournés sur bandes vidéo.

La convergence numérique n'est pas étrangère à la récente crise de croissance qui sévit dans le milieu canadien des arts médiatiques et a poussé les bailleurs de fonds à soulever des questions pertinentes. Si l'équipement est le même, disent-ils, pourquoi alors faudrait-il financer de multiples coopératives dans une même ville?

Ce genre de question n'a pas été populaire dans les coopératives, mais certaines ont réagi en se réorganisant. Video Vérité, l'unique coopérative de Saskatoon, a récemment fusionné avec The Photographers Gallery, une centre d'art autogéré voué aux oeuvres photographiques, pour former « Paved Art and New Media ». Ce qui indique peut-être qu'il convient de faire la distinction non pas entre les moyens d'expression, mais entre les sortes de travaux et les façons de faire.

Certains de nos artistes des médias les plus réputés sont issus des coopératives et bon nombre d'entre eux continuent de produire ou de distribuer leurs oeuvres grâce à l'aide de celles-ci. Des changements s'opéreront à mesure que l'accessibilité de l'équipement démocratisera la production de films et de vidéos et que les artistes des « nouveaux médias » qui travaillent surtout avec des ordinateurs s'intégreront au milieu des arts des médias.

À la fin des années 1990, les bailleurs de fonds ont mis au défi les coopératives de répondre à la question « En quoi la vidéo est-elle différente du film? ». Bien que la question qui se pose maintenant soit plutôt « En quoi les nouveaux médias sont-ils différents de la vidéo? », les coopératives du film demeurent un organe vital de l'art cinématographique et vidéo au Canada.