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Long métrage

Entre 1900 et 1960, le Canada ne réalise qu'une centaine de longs métrages, alors que, pendant la même période, Hollywood en produit chaque année trois fois plus. Cet écart s'explique en partie par l'emprise qu'exercent les Américains sur les secteurs de l'exploitation et de la distribution de l'industrie cinématographique.

Entre 1900 et 1960, le Canada ne réalise qu'une centaine de longs métrages, alors que, pendant la même période, Hollywood en produit chaque année trois fois plus. Cet écart s'explique en partie par l'emprise qu'exercent les Américains sur les secteurs de l'exploitation et de la distribution de l'industrie cinématographique. Ne disposant pas des ressources financières et des réseaux de distribution nécessaires à la production, à l'exploitation et à la commercialisation de longs métrages, les Canadiens sont passés maîtres dans l'art du cinéma documentaire, du cinéma expérimental (voir Cinéma documentaire, Cinéma expérimental) et du Cinéma d'animation, des domaines dans lesquels ils ont souvent remporté des prix. Les films de Norman McLaren, de Michael Snow ou du célèbre studio B de l'Office national du film (Roman Kroitor, Colin Low, Tom Daly et Wolf Koenig), parmi bien d'autres, pourraient facilement figurer sur la liste des dix meilleurs films d'animation, expérimentaux ou documentaires.

Ce n'est que dans les années 1960 que la réalisation de longs métrages devient possible pour les jeunes cinéastes. Il n'en résulte toutefois que très peu de films marquants. Appuyés par des programmes fédéraux de financement et de crédits d'impôt, les cinéastes canadiens des années 1970 réalisent une multitude de longs métrages, dont bon nombre ne seront jamais terminés ou distribués. Quelques films réussissent malgré tout à se distinguer au Canada, généralement parce qu'ils ont d'abord été louangés à l'étranger. Depuis le milieu des années 1980, les longs métrages canadiens ont gagné en réputation. Des cinéastes comme Denys Arcand, David Cronenberg et Atom Egoyan sont reconnus et respectés dans le milieu des festivals internationaux et ont remporté des prix au Festival de Cannes.

En 1984, devant la popularité croissante des cinéastes canadiens, le Festival international du film de Toronto sonde l'opinion de critiques, de cinéphiles, de professeurs et d'organisateurs de festivals, afin de dresser une liste des dix meilleurs films canadiens. On réitère l'expérience en 1993. En 2004, le magazine de cinéma Take One, aujourd'hui disparu, se charge de cette tâche en dressant une liste des 20 meilleurs films. Bien que Mon oncle Antoine se retrouve en tête de liste pendant les dix années de son existence, de nombreux films n'occupent plus le même rang et d'autres sont venus s'ajouter. Ces changements forcent les gens à reconsidérer leurs idées préconçues sur le cinéma canadien.

Au moment où la première liste est établie, les critiques s'accordent à classer les longs métrages canadiens dans la tradition des films réalistes ou documentaires de l'ONF. Mais c'est mésestimer l'influence prépondérante des longs métrages venant d'autres pays. Claude Jutra, par exemple, qui travaille alors pour l'ONF et a réalisé Mon oncle Antoine sous ses auspices, est surtout inspiré par François Truffaut et les films français de la Nouvelle Vague des années 1960. Don Shebib, dont le film Goin' Down the Road rend parfaitement, dans un style décontracté, le genre de vie qu'on mène à Toronto au début des années 1970, s'inscrit dans la lignée du cinéaste irlando-américain John Ford. Denys Arcand puise à la fois son inspiration dans les films d'art européens et les films de genre américain. Aujourd'hui, les cinéastes canadiens cherchent plus loin leurs modèles. Le film The Saddest Music in the World de Guy Maddin, par exemple, relève de l'expressionnisme allemand et des comédies musicales hollywoodiennes des années 1930.

On croit souvent, à tort, que les longs métrages canadiens sont obsédés par les victimes et les perdants et qu'ils sont prétextes à une réflexion grave sur notre quête d'identité nationale. Il est pourtant de plus en plus manifeste que les cinéastes canadiens s'intéressent davantage à la vitalité et à la noblesse de ce qui n'est pas héroïque plutôt qu'à la propension nationale à l'apitoiement. La recherche d'une identité dans les films canadiens n'a rien d'exceptionnel et le thème n'est pas non plus fondamentalement canadien.

Le personnage naïf revient avec constance dans bon nombre des meilleurs films canadiens. Comment s'en étonner quand la plupart de nos scénarios en font leur personnage central. Mon oncle Antoine, L'apprentissage de Duddy Kravitz et Léolo de Jean-Claude Lauzon, pour n'en nommer que quelques-uns, figurent parmi une multitude de films canadiens mettant en scène des personnages jeunes et innocents, soumis au dur apprentissage de la vie.

Le déclin de l'empire américain et Exotica, trois films qui posent un regard cynique sur le monde, fournissent d'autres exemples de la présence prédominante de personnages naïfs dans les films canadiens. On y raconte l'histoire de personnages troublés et insatisfaits dans un contexte urbain contemporain. Sous des apparences de raffinement sexuel se cachent des êtres qui souffrent de leur immaturité ou de leur naïveté. À l'exemple de nombreux films canadiens respectés, ils exaltent à la fois l'innocence et l'expérience.

Bien que le financement du cinéma canadien provienne surtout de subventions fédérales et provinciales (par l'intermédiaire de Téléfilm Canada et ses équivalents provinciaux), les films eux-mêmes résistent à l'influence bureaucratique ou morale de ces organismes. Les cinéastes canadiens ont le goût du risque tout autant que le sens du risqué, comme en font foi Léolo (1992), où le réalisateur met en scène des actes pervers commis dans une salle de bains, The Sweet Hereafter et Exotica, qui traitent de l'inceste père-fille, Crash (David Cronenberg, 1996; v.f. Crash), où se déroulent des rituels sado-masochistes et Kissed (Lynne Stopkowich, 1997), qui aborde le thème de la nécrophilie.

L'industrie du long métrage au Canada n'a démarré que dans les années 1970, mais elle a fait du chemin. Malgré l'absence d'un réseau national de vedettes, et le prestige que cela suppose, malgré le manque de modèles nationaux dont on peut s'inspirer, d'équipes d'effets spéciaux complexes, ces fabricants de fantaisie et d'effets chocs, et d'un réseau de distribution ou de promotion pancanadien qui permettrait de faire connaître les films à l'échelle du pays, les cinéastes canadiens ont réussi à réaliser des films capables d'attirer et de toucher les spectateurs.

Ce public s'est agrandi. Chose plus importante, les cinéastes canadiens font maintenant partie du marché mondial et réalisent des films financés ou cofinancés internationalement. Des cinéastes comme Atom Egoyan, Deepa Mehta et Sturla Gunnarsson, longtemps considérés comme des cinéastes strictement canadiens, sont allés réaliser des films dans leur pays d'origine : Calendar, Water et Beowulf and Grendel. De jeunes cinéastes capables de faire prendre de toutes nouvelles directions à cette industrie sont apparus. L'événement probablement le plus remarquable à cet égard est la sortie de Atanarjuat: The Fast Runner (v.f. Atanarjuat : L'homme rapide), une fresque épique inuite entièrement réalisée au Nunavut par Zacharias Kunuk. Des films comme C.R.A.Z.Y. (2005) de Jean-Marc Vallée, qui a raflé la plupart des prix du film canadien et du film québécois en 2006, It's All Gone Pete Tong (2005) et The Saddest Music in the World (2004) prouvent une fois encore que les films poétiques, indépendants se portent bien dans des régions aussi diverses que le Québec, l'Alberta, Winnipeg et aussi le Nunavut.

L'augmentation de la liste des dix meilleurs films révèle plusieurs faits concernant le cinéma canadien. Nos films sont toujours des films d'auteur. Trois films de Denys Arcand ainsi que trois films de David Cronenberg et d'Atom Egoyan figurent parmi les dix meilleurs films et deux films de Guy Maddin font partie de la liste des 20 meilleurs. Dans la nouvelle liste, la réputation du Canada en tant que réalisateur de films expérimentaux et documentaires très appréciés est maintenant assurée par le film de Pierre Perrault, Pour la suite du monde (1963), une description évocatrice des pêcheurs du Québec, par Wavelength (1967) de Michael Snow ainsi que par le court-métrage de Maddin, The Heart of the World (2000), un film expérimental énergique et à contretemps qui a battu, l'année de sa sortie, des longs métrages dans les listes des dix meilleurs films de plusieurs critiques de cinéma internationaux.

La liste de 2004 révèle le fait qu'un nouveau canon du cinéma canadien est en train de voir le jour. Les six meilleurs films de 1993 figuraient encore dans la liste des 10 meilleurs films de 2004. Cependant, notre liste est, pour le meilleur ou pour le pire, sujette aux goûts du jour; des films récents de nos meilleurs réalisateurs en ont remplacé de plus vieux. Est-ce parce qu'ils sont meilleurs ou tout simplement plus frais dans notre mémoire? Le répertoire canadien ne compte peut-être pas de grands classiques comme Gone With The Wind (v.f. Autant en emporte le vent) ou Citizen Kane et les films canadiens ne figurent pas encore au palmarès mondial des dix meilleurs films de tous les temps, mais le nombre croissant d'artistes talentueux et un public de plus en plus vaste laissent présager que cette liste ne cessera de s'enrichir.

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