Contes et nouvelles de langue française | l'Encyclopédie Canadienne

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Contes et nouvelles de langue française

À l'origine même de la littérature québécoise, se trouvent le conte et la poésie. C'est peut-être un hasard, mais peut-être aussi parce qu'ils constituent une étape nécessaire à l'évolution des genres littéraires.
Michel Tremblay
Parmi les différents écrits de Michel Tremblay, on trouve des romans, des pi\u00e8ces, des comédies musicales et des traductions (photo d' Andrew Danson).

Contes et nouvelles de langue française

À l'origine même de la littérature québécoise, se trouvent le conte et la poésie. C'est peut-être un hasard, mais peut-être aussi parce qu'ils constituent une étape nécessaire à l'évolution des genres littéraires. En tout état de cause, le contexte spécifique des débuts de la LITTÉRATURE DE LANGUE FRANÇAISE au Canada semble suffire à justifier la prépondérance des oeuvres courses. Selon la théorie la plus répandue, au XIXe s., les livres sont rares et les maisons d'édition publient de tout sauf de la littérature. Les seules possibilités de publication offertes aux écrivains restent les journaux et les PÉRIODIQUES LITTÉrAIRES, où prévalent les textes brefs. L'éventualité de l'esthétisme est également valable; en effet, l'influence du romantisme met à la mode le FOLKLORE, traditions populaires et couleur locale. On peut également croire à une hypothèse idéologique selon laquelle, à une époque où le roman est considéré pernicieux à cause des passions qui s'y étalent (le THÉÂTRE du XVIIe s. est discrédité pour la même raison), la nouvelle menace moins la moralité et les bonnes moeurs.

La nouvelle, florissante, apparaît sous forme de récits, intégrés au premier ROMAN publié au Qc, L'INFLUENCE D'UN LIVRE, de Philippe AUBERT DE GASPÉ fils. Bientôt partie intégrante des revues littéraires et des quotidiens, elle acquiert le statut de genre dans le Répertoire national (1848-1850) de James Huston. Ce genre littéraire comprend diverses formes de récits, y compris les abrégés, nouvelles, exemples, contes, anecdotes, portraits et toutes sortes de descriptions pittoresques. Ces textes sont à la fois naïfs et détaillés, souvent alourdis par une rhétorique pompeuse ou un évident didactisme. Des quelque 1100 oeuvres publiées dans les périodiques du XIXe s., près de 200 contes et légendes sont repris par la suite dans des recueils. Du point de vue littéraire, ceux-ci constituent la production de textes narratifs la plus intéressante de l'époque.

Plusieurs de ces contes s'inspirent de légendes. Parmi les thèmes les plus courants, on retrouve les histoires de diable dans lesquelles un personnage défie ou ignore les préceptes religieux et se trouve ramené dans le droit chemin par quelque châtiment exemplaire. Toutefois, cette construction triadique (interdiction, transgression, châtiment) simplifie à l'extrême la portée de ces textes dans lesquels, du début à la fin, la transgression a l'attrait d'un acte volontaire. Parmi les ressources à la disposition du diable (séduction, pacte, possession), c'est aux deux premières qu'on donne préséance. Le personnage en relation avec Satan n'est pas une victime, mais recherche sa destinée. Rose LATULIPPE choisit délibérément de danser le mercredi des Cendres avec son « diable de beau danseur » malgré les regards alarmés de ses proches. Dans la CHASSE-GALERIE, huit bûcherons risquent leur vie et le salut de leur âme pour embrasser leurs bien-aimées la veille du jour de l'An. Les loups-garous, personnages intrépides faisant fi des ordres du clergé, savent qu'ils attirent sur eux le maléfice. Le diable, héros manifeste des récits, est un poltron somme toute inoffensif, aux pouvoirs limités par ceux du curé et des objets sacrés: en effet, quelques gouttes d'eau bénite suffisent à provoquer sa fuite.

Considérer ces textes comme une tentative de l'ULTRAMONTANISME du XIXe s. pour renforcer son influence sur la littérature, équivaut à oublier les tensions internes et les contradictions inhérentes tous les niveaux de signification. Il est impossible de séparer le contenu du conte écrit de sa forme telle qu'elle était au début de la littérature québécoise. Substitut de la communication orale, le conte reproduit souvent les signes de la LITTÉRATURE ORALE en intégrant la nature joyeuse de l'intrigue à un double récit. L'introduction (prologue, préambule ou premier récit) est une magistrale description du contexte; selon la forme du dialogue, elle fait le lien entre intrigue et narrateur, et donne la nature du pacte narratif. Ce dernier varie d'un auteur à l'autre. Louis-Honoré FRÉCHETTE (Contes I et II) est plus ironique, ludique et libre-penseur que les autres, démystifiant à loisir le surnaturel en présentant comme figure principale, Jos Violon, un conteur impénitent et témoin de la culture populaire avec laquelle il entretient une complicité de clins d'oeil. Honoré Beaugrand (La chasse-galerie, 1900) est plus proche du mythe et des figures archétypales de l'imaginaire tandis que Léon-Pamphile Lemay (Contes vrais, 1899) est à la fois plus littéraire (il joue astucieusement de l'ambiguïté entre l'oral et l'écrit, entre vérité et mensonge), plus porté à la digression et plus moralisateur. Ses textes couvrent une variété de sujets importants, historiques, légendaires et quotidiens. D'autres, comme Joseph-Charles Taché ou Faucher de St-Maurice, sont plus documentaires ou édifiants. Malgré ces divergences, le conte littéraire du XIXe s. présente une certaine homogénéité que l'on peut ramener à quelques caractéristiques: la prédominance du récit enchâssé à valeur d'exemple, les références explicites à l'expression orale, l'introduction d'un conteur lui-même personnage du récit, et des idées reflétant la conception chrétienne du surnaturel, qui interdit dans bien des cas le recours au fantastique.

 Au XXe s., les récits courts sont plus rares, plus diversifiés, et l'importance relative du conte diminue. Plusieurs écrivains se sont fait la main avec la nouvelle et passent ensuite au roman. D'autres, comme Jean-Aubert LORANGER, Jacques FERRON et Roch CARRIER, y reviennent périodiquement et en font délibérément le leitmotiv de leur production littéraire. Ceci donne lieu à divers types de textes. Lionel GROULX et le frère MARIE-VICTORIN écrivent des contes exaltant le retour à la terre tandis que les écrits de Michel TREMBLAY relèvent de la pure imagination; les contes de Loranger et de Ferron sont philosophiques et ironiques; ceux de Félix LECLERC, Roch Carrier, Yves THÉRIAULT, Gilles VIGNEAULT et de Réal Benoît sont poétiques, tragiques et ludiques. Les oeuvres des Marius BARBEAU, Luc Lacourcière, Félix-Antoine SAVARD, Jean-Claude Dupont et autres spécialistes du folklore et de l'ethnologie transcrivent des récits oraux, une forme de littérature que ces derniers ont prix l'initiative de conserver, responsabilité auparavant réservée aux écrivains romantiques.

La nouvelle est plus discrète que le conte. Au cours des années 60, elle semble l'expression collective d'un peuple, quand des écrivains comme Jacques RENAUD et André MAJOR y trouvent un moyen de revendication sociale et littéraire. Depuis 1980, elle effectue un retour en force avec des écrivains qui, à la suite de Gabrielle ROY, Madeleine Ferron, Louise MAHEUX-FORCIER et Claire Martin, souhaitent faire ressortir l'immédiateté et la beauté d'une situation. Suzanne Jacob, Marilú Mallet et Gaétan Brulotte représentent cette génération d'écrivains « post-modernes ». Même s'il semble avoir disparu, le conte a laissé sa marque sur certains romans du XXe s, tels ceux d'Yves BEAUCHEMIN ou de Louis CARON), dans lesquels les techniques narratives et les thèmes s'apparentent à ceux des conteurs du XIXe s.

L'étude de la littérature québécoise par le truchement de ses formes narratives démontre que le conte - paradoxalement, à cause de ses éléments fixes ou permanents - se prête à de multiples modulations et révèle encore mieux que le roman ou la nouvelle le profil littéraire d'une époque. Si tout conte est une « chasse-galerie », il transporte le lecteur dans un monde différent, plein d'évocations du passé, de la vie quotidienne et, inévitablement, de la culture; l'aventure n'en est que plus fascinante.