Affaire Dennis Oland | l'Encyclopédie Canadienne

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Affaire Dennis Oland

Le 19 décembre 2015, Dennis Oland a été reconnu coupable d’homicide au second degré pour le meurtre de son père Richard (Dick) Oland, battu à mort avec un objet contondant. Un an plus tard, la condamnation a été renversée en appel et on a ordonné la tenue d’un nouveau procès. Le premier procès a duré 65 jours, ce qui en fait le plus long de l’histoire du Nouveau-Brunswick. Il a attiré également l’attention de tout le pays, du fait de la violence du geste ainsi que de ce qu’il révélait de la réputée famille Oland, fondatrice de l’empire de la brasserie Moosehead. En 2019, à l’issue du nouveau procès, Dennis Oland a été reconnu non coupable de meurtre.

Saint John, Nouveau-Brunswick

La famille Oland

Le matin du 7 juillet 2011, Maureen Adamson, assistante de Richard Oland, trouve le corps de son employeur dans son bureau face contre terre, avec près de 45 plaies à la tête, au cou et aux mains. L’enquête policière qui débute le même jour donne lieu à un torrent de spéculations dans la communauté néo-brunswickoise de Saint John, petite ville insulaire que domine un petit nombre de familles fortunées, à l’instar des Oland.

Richard lui-même est un personnage particulièrement intéressant : bourru et doté d’un fort caractère, il quitte les Moosehead Breweries Ltd. au début des années 1980 lorsque son père, P.W. Oland, lègue à son fils aîné Derek le contrôle de l’entreprise familiale. (Voir aussi Industrie brassicole au Canada.)

Richard Oland

Par la suite, Richard entreprend nombre de poursuites judiciaires afin de réclamer un rôle plus important dans l’entreprise, mais son frère Derek finit par lui racheter l’entièreté de ses parts en 2007. Âgé de 69 ans au moment de sa mort, Richard Oland possède une fortune d’environ 37 millions de dollars, amassée principalement grâce à sa compagnie de camionnage liée à la brasserie et à sa société de gestion d’actifs, Far End Corporation.

C’est justement dans son bureau de la Far End Corp. que Richard Oland reçoit pour la dernière fois la visite de son fils. Les deux hommes se mettent à discuter de généalogie familiale, l’un de leurs rares intérêts communs. À cette exception près, ils entretiennent une relation houleuse, vécue difficilement entre un père aux manières intransigeantes et aux attentes élevées et un fils à la vie personnelle chaotique et aux finances problématiques.

Dennis Oland, alors âgé de 43 ans, travaille comme conseiller en investissement chez CIBC Wood Gundy, mais a du mal à gérer son argent. Il contracte fréquemment des dettes, notamment envers son père, qui lui prête la somme de 500 000 $, sous des conditions très strictes, pour l’aider pendant son divorce. En outre, Dennis confiera plus tard à la police qu’il en veut à son père au sujet de l’aventure extraconjugale que ce dernier entretient depuis huit ans avec une agente immobilière de Saint John, Diana Sedlacek, bien qu’il ne l’ait jamais confronté à ce sujet. Parmi les preuves que l’on recueille contre Dennis, l’accusation fait valoir que ses nombreux ressentiments pourraient bien représenter le motif du meurtre.

Le meurtre

Alors qu’il est en route pour rendre visite à son père le 6 juillet 2011, Dennis se rend compte qu’il a oublié quelque chose à son propre bureau ; il fait demi-tour en voiture sans jamais finalement retourner à la CIBC, avant de s’arrêter au bureau de son père. On a grandement insisté sur ces détails pendant le procès ; les procureurs les voient en effet comme des indices de l’état mental instable de Dennis à l’époque.

Après avoir rendu visite à son père, Dennis reprend la route de sa demeure de Rothesay, la banlieue tranquille où résident bon nombre des familles aisées de Saint John. Avant d’arriver, il s’arrête près d’un quai pour, selon ses dires, voir si ses enfants sont en train de s’y baigner. Vers 18 h 44, soit environ le moment de l’arrivée de Dennis au quai, le iPhone de son père reçoit son dernier message texte, dont le signal est enregistré par une tour de téléphonie cellulaire des environs, plutôt que celle située plus près du centre-ville. Le téléphone portable est d’ailleurs le seul objet manquant dans le bureau de Richard, ce qui suggère aux procureurs que Dennis l’aurait ramené à Rothesay après le meurtre.

Richard Oland gît dans une mare de sang dans son bureau de la Far End Corporation. L’arme du crime ne sera jamais retrouvée, mais un détective a supposé qu’il s’agissait peut-être d’un marteau pour cloisons sèches, vu l’alternance de coups bruts et de coups tranchants dont témoignent les plaies qui recouvrent la tête et le cou de Richard. L’attaque est violente, causant 14 fractures au crâne ; des coupures sur les mains indiquent que la victime a probablement tenté de se défendre.

Enquête

Vu l’abondance de données criminalistiques liées à un crime aussi violent, la police de Saint John traite la scène du crime avec un grand manque de rigueur professionnelle. Des membres du corps policier utilisent la salle de toilettes adjacente au bureau pendant deux jours avant d’y recueillir des empreintes ; le chef député traverse le bureau ensanglanté sans le moindre équipement de protection, par simple curiosité ; enfin, l’un des détectives manipule sans gants le manteau que Dennis Oland portait le soir du meurtre. En janvier 2016, après que la condamnation de Dennis Oland est portée en appel, la Commission de police du Nouveau-Brunswick suspend son enquête sur la manière dont les forces policières ont mené cette affaire. En effet, le fait que la police ait manipulé son manteau de la sorte sert de recours juridique à Dennis Oland.

Ce manteau demeure d’ailleurs un élément clé dans les preuves recueillies contre Dennis Oland. Lors d’un interrogatoire mené par la police le 7 juillet 2011, date où l’on découvre le corps sans vie de son père, Dennis affirme qu’il portait la veille un blouson de sport bleu. Or, la vidéo de surveillance d’un centre commercial du centre-ville révèle qu’il portait en fait un veston brun.

Le 8 juillet, Lisa, l’épouse de Dennis, apporte le veston brun chez le nettoyeur pour qu’il soit lavé. Malgré cela, un test d’ADN révèle quatre minuscules éclaboussures du sang de Richard sur le vêtement. Les procureurs soulignent ce fait à plusieurs reprises pendant le procès, bien que la défense soutienne que n’importe quel vêtement porté pendant le meurtre aurait été taché de beaucoup plus de sang, et rappellent qu’aucun autre objet appartenant à Dennis ne montre de taches de sang.

Saint John, Nouveau-Brunswick
(photo prise par John Sylvester)

Procès

Après une enquête qui dure plus de deux ans, Dennis Oland est reconnu coupable de meurtre au second degré en novembre 2013. Cette inculpation ravive le grand intérêt de la communauté pour l’affaire. La brasserie Moosehead a en effet longtemps été un employeur important pour les habitants de la ville ainsi qu’un symbole de fierté pour Saint John, puisqu’elle est la dernière brasserie nationale indépendante du Canada. Toutefois, la fortune des Oland est aussi source de convoitise et de ressentiment dans une ville dépossédée d’une partie importante de son secteur manufacturier et dont l’heure de gloire économique est désormais chose du passé. Ces deux facteurs procurent à la famille un statut de célébrité, même au sein d’une province où sont établies de plus grandes dynasties commerciales telles que les Irving et les McCain.

La célébrité de la famille Oland et son enracinement dans la communauté posent de sérieux défis quant à la sélection des membres du jury, lorsqu’il est enfin temps de commencer le procès en 2015. Cinq mille jurés potentiels sont appelés, ce qui en fait selon toute probabilité le plus large bassin de jurés de l’histoire du Nouveau-Brunswick ; mille d’entre eux sont finalement convoqués dans un aréna de hockey de Saint John pour une sélection. La durée du procès pousse le juge Jack Walsh à choisir exceptionnellement 14 jurés (plutôt que 12), en plus de deux substituts supplémentaires, au cas où l’un d’entre eux devrait renoncer à sa participation au procès.

La couverture médiatique du procès est intense, particulièrement lors des récits de témoins clés tels que la maîtresse de Richard Oland, Mme Sedlacek. Les avocats de Dennis Oland se livrent corps et âme. L’implication d’Alan Gold, l’un des meilleurs avocats de la défense de Toronto, ainsi que de Gary Miller, un juriste tout aussi estimé du Nouveau-Brunswick, donne l’impression que Dennis Oland a de bonnes chances d’être acquitté.

Ce véritable marathon de procédures judiciaires prend fin une semaine avant Noël 2015, alors que la neige qui recouvre le sol offre un contraste frappant avec l’atmosphère enflammée dans laquelle débute le procès, à la mi-septembre. Le jury, réduit à 12 membres par un tirage au sort, délibère pendant une trentaine d’heures étalées sur quatre jours.

Condamnation

Le verdict de culpabilité rendu le matin du 19 décembre est accueilli par des pleurs et des cris de protestation de la part des membres de la famille Oland présents dans la salle d’audience. Pour sa part, Dennis se met à gémir, incontrôlable, dans le box des accusés. Le meurtre au second degré est automatiquement puni d’une peine d’emprisonnement à vie ; le jury recommande toutefois une possibilité de libération conditionnelle après la peine minimale de dix ans, ce que la Cour choisit de respecter.

Cette condamnation est un choc pour les habitants de Saint John. Plusieurs membres de cette communauté soudée ont la forte impression que Dennis Oland est coupable, mais qu’il aurait dû être acquitté puisque l’incompétence de la police et le laxisme dont on a fait preuve pendant la poursuite ont laissé des parts d’ombre importantes dans les preuves amassées contre lui.

Depuis que Dennis a été accusé en 2013, la famille Oland ne cesse de clamer son innocence. Derek Oland, oncle de Dennis et président exécutif de Moosehead, paie la première caution de Dennis lors de son arrestation initiale. De nombreux membres de la famille fournissent également des références morales afin d’atténuer la sentence.

Constance Oland, mère de Dennis et veuve de Richard, parle de façon bouleversante de sa famille brisée dans une lettre qu’elle adresse au juge Walsh après la déclaration de culpabilité de son fils. Elle y raconte que depuis le meurtre de Richard, la famille Oland vit un « cauchemar » sans fin et connaît l’« enfer sur terre ». « Les répercussions sont particulièrement lourdes pour le beau-fils de Dennis et trois enfants issus d’un mariage antérieur », écrit-elle.

Dans sa décision, le juge Walsh décrit l’affaire comme un « drame familial shakespearien ».

Renversement de condamnation

Les avocats de Dennis Oland annoncent immédiatement leur décision d’en appeler au verdict de culpabilité. Ils misent eux aussi sur les maladresses de la police et des procureurs. Par exemple, le manteau taché de sang n’aurait pas dû être reconnu comme preuve, selon eux, puisque les enquêteurs n’avaient pas préalablement obtenu de mandat pour effectuer un test d’ADN. Ils protestent également contre un argument relevant de la spéculation amené par le procureur principal P.J. Veniot lors de sa plaidoirie ; ce dernier aurait imaginé une confrontation orageuse entre le père et son fils juste avant le meurtre.

Chose rare, Dennis Oland entreprend également une demande de liberté sous caution pendant les procédures d’appel. Sa demande est rejetée deux fois par des tribunaux du Nouveau-Brunswick, sous prétexte qu’accorder une liberté sous caution à un meurtrier reconnu coupable minerait la confiance du public envers le système judiciaire. Dennis Oland décide donc d’exiger une révision de sa demande de liberté sous caution auprès de la Cour suprême du Canada. En mars 2017, la Cour suprême conclut à l’unanimité que les tribunaux du Nouveau-Brunswick ont eu tort de refuser à Dennis Oland une libération sous caution pendant l’appel de sa condamnation. Elle ajoute qu’en général, même les personnes reconnues coupables de meurtre ont le droit de se prévaloir de conditions de mise en liberté sous caution.

L’appel de Dennis Oland de sa condamnation est entendu par la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick en octobre 2016. Invoquant plusieurs erreurs dans les instructions du juge au jury, la Cour renverse la déclaration de culpabilité et ordonne la tenue d’un nouveau procès. Dennis Oland est libéré sous caution à ce moment-là, ce qui n’empêche pas ses avocats d’interjeter appel devant la Cour suprême relativement à la libération sous caution qui lui a été refusée précédemment. En juillet 2017, la Cour suprême rejette des demandes voulant qu’elle revoie l’affaire, en confirmant plutôt l’ordonnance d’un nouveau procès.

On devra attendre au moins jusqu’en 2018 pour la tenue d’un nouveau procès pour Dennis Oland.

Nouveau procès et acquittement

Le nouveau procès de Dennis Oland commence en novembre 2018. Il se déroule devant un juge seul plutôt qu’un jury. Pendant 44 jours, la Cour entend 61 témoins et reçoit plus de 300 éléments de preuve.

Le 19 juillet 2019, le juge Terrence Morrison de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick déclare que Dennis Oland est non coupable de meurtre au second degré. Dans un résumé de sa décision, Terrence Morrison dit que la Couronne n’a pas réussi à établir la culpabilité de Dennis Oland hors de tout doute raisonnable. Il mentionne un doute relatif à l’heure du décès de Richard Oland et déclare que les procureurs ont échoué d’établir un mobile pour le meurtre.