Affaire Robert Pickton | l'Encyclopédie Canadienne

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Affaire Robert Pickton

Entre 1978 et 2001, au moins 65 femmes ont disparu dans le quartier Downtown Eastside de Vancouver. Robert Pickton, qui possédait une ferme porcine tout près de Vancouver, à Port Coquitlam, a été accusé de meurtres de 26 femmes. Il a été reconnu coupable de six chefs d’accusation et condamné à une peine d’emprisonnement à vie. En prison, lors d’une conversation avec un policier infiltré, Robert Pickton a affirmé avoir assassiné 49 femmes. Ces meurtres ont mené à la plus grande enquête sur un tueur en série de l’histoire du Canada, et la ferme de Robert Pickton est devenue la plus grande scène de crime de l’histoire canadienne. L’affaire a également marqué un point charnière dans la problématique plus vaste des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées au Canada. En 2012, une enquête du gouvernement provincial sur l’affaire a révélé que les « défaillances flagrantes » de la police, notamment un travail d’enquête criminelle inepte aggravé par les préjugés de la police et de la société à l’égard des travailleuses du sexe et des femmes autochtones, ont mené à une « tragédie aux proportions épiques ».

Cet article comporte des éléments difficiles qui peuvent ne pas convenir à tous les publics.

ferme Pickton à Port Coquitlam, en Colombie-Britannique.

Ferme porcine des Pickton

Robert William « Willie » Pickton naît en 1949 et il grandit sur la ferme porcine familiale à Port Coquitlam en Colombie‑Britannique. Ses frères, ses sœurs et lui vendent la majorité de leur terrain à des promoteurs immobiliers, réduisant la ferme à 6,5 hectares. Robert Pickton maintient une petite exploitation d’élevage sur la ferme. Il reçoit également sa part du produit des transactions immobilières et il s’associe avec son frère David dans une entreprise de récupération. Robert Pickton est socialement maladroit et il est reconnu pour ces étranges comportements. Il vit seul dans une caravane installée sur la ferme.

En 1996, les frères Pickton créent la Piggy’s Palace Good Times Society, un organisme de bienfaisance enregistré au niveau fédéral dont le mandat consiste à recueillir des fonds pour des organismes de services par l’intermédiaire d’événements comme des soirées dansantes et des spectacles. Les voisins se plaignent du tapage, de la consommation de drogues, d’ivrognerie et du bruit. Près de 1700 personnes assistent à ces fêtes, dont des motards et des travailleuses du sexe du quartier Downtown Eastside. En 2000, la ville de Port Coquitlam ferme le Piggy’s Palace.

Quartier Downtown Eastside

Le quartier Downtown Eastside à Vancouver est reconnu pour ses taux élevés de pauvreté, d’itinérance, de consommation de drogues en public et de prostitution. À la fin des années 1990, 80 % des filles et femmes qui travaillent dans l’industrie du sexe viennent de l’extérieur de Vancouver. Certaines n’ont plus de contact avec leur famille depuis des années.

Une étude menée auprès de 183 travailleuses du sexe entre 1999 et 2001 par la Prostitution Alternatives Counselling and Education (PACE) Society révèle que les actes de violence envers ces femmes sont fréquents. Elles sont victimes de vols, de passages à tabac, d’enlèvements et de séquestration. L’étude démontre un « fossé entre les actes de violence subis et les actes de violence déclarés ». Les résultats indiquent également que les femmes ont une profonde méfiance envers la police et les autres autorités.

Robert Pickton devient un habitué du quartier Downtown Eastside étant donné qu’il visite régulièrement une usine d’équarrissage du quartier où il se débarrasse de restes d’animaux. Il se promène souvent en voiture le long du pâté de dix immeubles appelé Low Track, offrant aux femmes de l’argent et des drogues, et les ramenant souvent à sa ferme.

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Disparitions

En 1978, un groupe de travail conjoint, le RCMP‑Vancouver Police Department Missing Women Task Force, établi par la GRC et les services de police de Vancouver, commence à compiler une liste des femmes disparues. Sur la liste, la première affaire officiellement reliée à Robert Pickton est la disparition de Diana Melnick, vue pour la dernière fois le 22 décembre 1995. (Robert Pickton n’est toutefois pas reconnu coupable du meurtre de cette dernière.) Le cas le plus récent relié à Robert Pickton sur cette liste, et l’un des six meurtres pour lequel il est éventuellement condamné, est le cas de Mona Wilson, qui est vue pour la dernière fois en novembre 2001.

Sur les 26 disparitions officiellement attribuées à Robert Pickton, une survient en 1995, une en 1996, six en 1997, quatre en 1998, cinq en 1999, deux en 2000 et sept en 2001. D’autres disparitions avant et pendant cette période ne lui sont pas officiellement attribuées en raison du manque de preuves.

Étant donné le mode de vie marginal et les habitudes transitoires des victimes et d’autres personnes du quartier Downtown Eastside, les disparitions passent souvent inaperçues. La disparition de Sherry Rail, qui disparaît en 1984, n’est signalée que trois ans plus tard. En 1987, la GRC met en place une équipe spéciale pour enquêter sur les disparitions et les meurtres non élucidés de travailleuses du sexe; cette équipe est démantelée en 1989 en raison du peu de progrès réalisés.

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Victimes marginalisées

Au fil des années, à mesure que le nombre de disparitions augmente, la rumeur de l’existence d’un tueur en série commence à circuler dans le quartier Downtown Eastside. Les travailleuses du sexe commencent à marcher en groupes le long de la Low Track et elles notent les plaques d’immatriculation des voitures qui viennent chercher les femmes. Mais les disparitions se poursuivent.

En 1991, les familles des femmes disparues, en compagnie de défenseurs des travailleuses du sexe, créent une marche commémorative annuelle le jour de la Saint‑Valentin en hommage aux victimes assassinées et disparues. Elles exigent une enquête approfondie, mais la réponse de la police est lente. La police de Vancouver refuse non seulement d’affirmer qu’un tueur en série est à l’œuvre dans le quartier, mais elle refuse même de considérer que les femmes disparues sont mortes. Il n’y a pas de cadavres justifiant une enquête qui mettrait à dure épreuve les ressources de la police. Pour le service de police, il semble raisonnable de présumer que certaines des femmes sont parties et que d’autres sont décédées de surdoses de drogue.

Certains se plaignent de l’apathie de la police, et en particulier le journal Vancouver Sun. Le journal accuse la police de n’accorder qu’une faible priorité aux crimes commis contre des travailleuses du sexe. Le service de police de Vancouver est également freiné par sa réticence à adopter de nouvelles méthodes d’enquête comme le profilage psychologique des criminels et le géoprofilage.

De nombreuses femmes disparues sont Autochtones. Alors que l’affaire Pickton évolue, avec ses nombreuses victimes autochtones, elle attire l’attention du public sur la question plus vaste des femmes et jeunes filles autochtones assassinées et disparues au Canada. Ceci mène le gouvernement à ouvrir une enquête nationale sur la question qui commence en 2016.

Femmes et filles autochtones disparues et assassinées au Canada

Occasions manquées

Le 22 mars 1997, une femme que Robert Pickton emmène à sa ferme se défend lorsqu’il tente de la menotter. Elle saisit un couteau de cuisine et, dans la lutte qui s’ensuit, tous deux subissent de graves blessures à l’arme blanche. La femme se précipite sur la route et réussit à faire signe à une voiture dont les occupants appellent une ambulance qui la transporte au Royal Columbian Hospital de New Westminster. Pendant qu’elle subit une intervention chirurgicale d’urgence, Robert Pickton est traité pour ses propres blessures dans le même hôpital. Un préposé aux soins trouve dans sa poche une clé correspondant aux menottes qui sont aux poignets de la femme. Robert Pickton est arrêté et inculpé de tentative de meurtre, d’agression armée et de séquestration. Toutefois, ces accusations sont suspendues et éventuellement abandonnées parce que la femme, dont le nom est placé par les tribunaux sous la protection d’une interdiction de publication, n’est pas considérée comme un témoin compétent en raison de sa toxicomanie. Robert Pickton affirme qu’elle est une auto-stoppeuse et que c’est elle qui s’en est prise à lui.

Au printemps 1999, un informateur déclare à la police de Vancouver qu’une mère monoparentale et toxicomane du nom de Lynn Ellingsen a vu le corps d’une femme pendue dans l’abattoir de Robert Pickton. Lorsqu’elle est interrogée par la police, Lynn Ellingsen nie d’abord cette histoire. Ce n’est que bien plus tard qu’elle admet avoir effectivement vu ce corps le 20 mars. Elle ne l’a cependant pas signalé parce qu’elle avait peur de Robert Pickton et qu’elle dépendait de lui pour obtenir de l’argent pour ses drogues.

Au début de 1999, Bill Hiscox, qui travaille pour les frères Pickton, informe la GRC que Lisa Yelds, une amie proche de Robert Pickton, lui a raconté avoir vu des vêtements de femme, des sacs à main et des papiers d’identité à la ferme porcine. Bill Hiscox croit que ces objets appartiennent aux femmes disparues. La police interroge Lisa Yelds, mais elle ne se montre pas coopérative. C’est la deuxième fois que Bill Hiscox contacte la police pour faire part de ses soupçons, mais ils ne sont pas en mesure d’obtenir un mandat de perquisition sur la base de ouï‑dire (des renseignements verbaux rapportés par une personne qui n’est pas un témoin direct). Ils ont besoin d’un témoin oculaire ayant directement vu des activités criminelles ou des preuves matérielles.

Arrestation

En 2001, la police de Vancouver et la GRC mettent en place le Project Evenhanded, un groupe d’intervention conjoint, pour enquêter sur les disparitions de femmes du quartier Downtown Eastside. Au début de février 2002, Scott Chubb, autrefois employé par la famille Pickton comme chauffeur de camion, informe la GRC de Port Coquitlam qu’il a personnellement vu des armes illégales dans la caravane de Robert Pickton. Cette information répond aux conditions officielles pour l’obtention d’un mandat de perquisition. Le 5 février, des officiers du groupe d’intervention perquisitionnent la ferme porcine. En plus de nombreuses armes illégales et non enregistrées, ils trouvent plusieurs objets reliés aux femmes disparues sur la propriété.

Robert Pickton est arrêté pour possession illégale d’armes à feu, et il est ensuite libéré sous caution. Il est toutefois maintenu sous surveillance et n’est pas autorisé à retourner à la ferme porcine pendant que la police mène des recherches approfondies en vertu d’un deuxième mandat de perquisition. Parmi les preuves qu’ils découvrent se trouvent des menottes, des vêtements et des chaussures de femmes, des bijoux et un inhalateur pour l’asthme prescrit à Sereena Abotsway, une des femmes disparues. Des tests ADN effectués sur du sang trouvé dans un camping-car sur la propriété révèlent qu’il s’agit de celui de Mona Wilson. Le 22 février 2002, il est arrêté et inculpé de deux chefs d’accusation de meurtre. Au total, 26 chefs d’accusation pour meurtre sont portés contre lui.

Pendant qu’il est en prison à Surrey en Colombie‑Britannique, il partage sa cellule avec un agent de la GRC infiltré qu’il croit être un autre détenu. Au cours de leur conversation, Robert Pickton dit qu’il a assassiné 49 femmes, et qu’il souhaitait en tuer 50.

Pendant ce temps, la ferme porcine devient la plus grande scène de crime de l’histoire canadienne. Les enquêteurs prélèvent 200 000 échantillons d’ADN et saisissent 600 000 pièces à conviction. Les archéologues et les experts médicolégaux ont besoin d’équipements lourds pour fouiller près de trois millions de mètres cubes de terre à la recherche de restes humains. Le coût de l’enquête est estimé à près de 70 millions de dollars.

Procès et emprisonnement

L’audience préliminaire de l’affaire Pickton (qui vise à déterminer s’il y a suffisamment de preuves pour un procès) dure de janvier à juillet 2003. En raison du volume et de la complexité sans précédent des questions juridiques à traiter, le procès sur les six premiers chefs d’accusation ne commence qu’en 22 janvier 2007, à New Westminster. Le 9 décembre 2007, Robert Pickton est reconnu coupable par un jury des six chefs d’accusation de meurtre au deuxième degré. Il est condamné à la prison à vie dans un pénitencier fédéral, sans possibilité de libération conditionnelle pendant 25 ans. Ces condamnations sont confirmées par la Cour suprême du Canada en 2010.

Bien que Robert Pickton affirme avoir assassiné 49 femmes, il n’est inculpé que pour 26 des meurtres de celles qui ont pu être identifiées grâce aux preuves trouvées sur la ferme porcine. Une autre femme non identifiée, dont les restes sont retrouvés, est nommée Jane Doe. L’accusation de meurtre concernant Jane Doe est finalement rejetée par le tribunal en raison du manque d’informations quant à son identité et la date de son décès.

Après la condamnation de Robert Pickton pour les six chefs d’accusation lors du premier procès, les procureurs de la Couronne de Colombie‑Britannique laissent ouverte la possibilité de le juger ultérieurement pour les 20 autres chefs d’accusation. Toutefois, le 4 août 2010, ils annoncent qu’un deuxième procès n’ajouterait rien à la peine infligée à Robert Pickton, même si d’autres condamnations sont prononcées, parce qu’il a déjà la peine la plus lourde possible en vertu de la loi. Cette décision soulève la colère de certaines des familles des 20 victimes. D’autres déclarent être soulagées de ne pas avoir à subir un autre procès long et difficile.

Enquête et changements de politique

En 2010, une commission d’enquête du gouvernement provincial est établie pour examiner l’affaire Pickton et la manière dont elle a été gérée par les autorités. En décembre 2012, la Commission d’enquête sur les femmes disparues dépose son rapport final intitulé Forsaken. L’enquête déclare que les « défaillances flagrantes » de la police, notamment un travail d’enquête incompétent aggravé par les préjugés de la police et de la société envers les travailleuses du sexe et les femmes autochtones, ont mené à une « tragédie aux proportions épiques ».

L’enquête émet 63 recommandations, incluant la création d’une force policière régionale dans la région du Grand Vancouver afin de permettre une coopération policière plus efficace et moins fragmentée. L’enquête fait également appel à un financement adéquat pour des refuges d’urgence destinés aux femmes dans l’industrie du sexe, ainsi qu’une indemnisation pour les enfants des femmes disparues.

À la suite de ce rapport, le département de police de Vancouver met en œuvre plusieurs changements de politique et de procédure dans ses enquêtes sur les personnes disparues. L’unité des personnes disparues devient un élément intégré au service de police; les enquêtes sont lancées sans délai; les membres de la famille sont régulièrement informés et consultés avant la divulgation d’informations; et le dossier demeure ouvert jusqu’à ce que la personne disparue soit retrouvée.

Suites et décès

En 2016, un livre autobiographique intitulé Pickton : In His Own Words, prétendument écrit par Robert Pickton et sorti clandestinement de prison, est publié par Outskirts Press de Denver au Colorado. Il est mis en vente sur Amazon.com mais il est retiré en raison de l’indignation du public.

Le 19 mai 2024, Robert Pickton est attaqué lors de ce que le Service correctionnel du Canada appelle une « agression majeure » à l’établissement à sécurité maximale de Port-Cartier au Québec. Un codétenu de 51 ans poignarde Robert Pickton à la tête avec un balai cassé ou avec quelque chose de semblable à un manche à balai. Robert Pickton, âgé de 74 ans, est placé sous respirateur artificiel et plongé dans un coma artificiel. Il meurt le 31 mai.

Voir aussi Femmes et filles autochtones disparues et assassinées au Canada; Route des larmes; Marche commémorative des femmes.