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Hugh Burnett

Hugh Burnett, militant des droits civiques, menuisier (né le 14 juillet 1918 à Dresden, Ontario; décédé le 29 septembre 1991 à London, Ontario). Hugh Burnett a été une figure centrale de la lutte pour obtenir des lois antidiscrimination en Ontario. Dans les années 1940 et au début des années 1950, il a milité sans relâche contre la discrimination raciale dans les services publics dans sa ville natale de Dresden, en Ontario, s’imposant comme leader et organisateur de la National Unity Association (NUA), une coalition de membres de la communauté noire demandant l’égalité des droits à Dresden et dans la région environnante. Il a joué un rôle important dans les des victoires législatives et juridiques pour les droits civils au niveau provincial menant au Fair Accommodation Practices Act de 1954, une des premières lois anti-discrimination de l’Ontario.
Hugh Burnett

Jeunesse

Hugh Burnett naît dans une ferme près de Dresden, en Ontario, de Robert et Myrtle Burnett (née Carter). Ses parents sont des descendants d’esclaves afro-américains qui se sont échappés au Canada au milieu des années 1800 (voir Esclavage des Noirs au Canada). Dresden est une des destinations du Chemin de fer clandestin dans le sud-ouest de l’Ontario. À mesure que les réfugiés de l’esclavage et les Afro-Américains libres y affluent et s’y installent, une importante communauté noire se forme à Dresden et dans les environs (voir aussi Josiah Henson).

Dès son plus jeune âge, Hugh Burnett est conscient des effets du racisme contre les Noirs (voir Racisme anti-noir au Canada). Un dimanche, à l’âge de 16 ans, il arrête son camion pour aider un automobiliste en panne d’essence. Reconnaissant, l’homme insiste pour l’amener au restaurant. Bien qu’il sache qu’on pourrait refuser de le servir, Hugh Burnett se dit qu’il sera peut-être accepté en compagnie d’un étranger blanc. Mais on refuse quand même de le servir, et il est indigné par l’incident. « À partir de ce moment, dit l’historien James Walker, il se consacra à agir contre cela. » Hugh Burnett prend la résolution de combattre le racisme dans sa communauté.

La discrimination raciale à Dresden

Dans les années 1940, la communauté noire représente près de 17 % de la population de Dresden. Bien que les Noirs et les Blancs vont à l’école ensemble, et vivent souvent près les uns des autres, les attitudes et pratiques racistes se manifestent par une forte discrimination à l’égard des membres de la communauté noire, leur laissant peu d’accès aux lieux publics. Entre autres, la plupart des propriétaires d’entreprises de Dresden refusent de servir les Noirs. Dans les années 1940, cette discrimination raciale contre les Noirs n’est pas exclusive à Dresden. Le racisme systémique est un obstacle majeur pour les Noirs (voir Racisme anti-noir au Canada), les Autochtones et d’autres minorités visibles au Canada (voir Préjugés et discrimination au Canada). Ce qui distinguait la discrimination raciale à Dresden était, dans les mots de James Walker, son caractère « absolu » : « Aucune piscine, écrivait-il, n’acceptait les noirs […] aucun restaurant, aucun barbier ne voulait leur couper les cheveux. » Les Noirs étaient exclus de presque toutes les églises, à l’exception de l’Église catholique. Cependant, la détermination d’Hugh Burnett à combattre le racisme et la discrimination, et son talent de meneur, étaient aussi uniques à Dresden.

En 1943, un incident renforce la détermination de Hugh Burnett à faire changer les choses à Dresden. À l’époque, il a 25 ans et il vit à Windsor, en Ontario, avec son épouse Beatrice, et travaille pour la Ford Motor Company. Rendant visite à sa famille à Dresden, il se rend dans un restaurant local vêtu de son uniforme de l’armée. (Il s’est enrôlé au début de la Deuxième Guerre mondiale, puis il a été libéré pour raisons médicales.) À sa consternation, le propriétaire refuse de le servir. Hugh écrit immédiatement au ministre de la Justice fédéral, Louis St-Laurent, pour l’informer, relate James Walker, que « même en uniforme, un Noir ne peut se faire servir dans aucun restaurant de Dresden ». Le sous-ministre lui répond simplement qu’il n’existe pas de loi contre la discrimination raciale au Canada (voir aussi Affaire Fred Christie).

Affaire « Dresden » : la lutte pour les droits civiques avec la National Unity Association

En 1948, Hugh Burnett revient s’installer à Dresden avec sa femme et ses enfants pour retrouver ses oncles William, Percy et Bernard Carter, qui dirigent un groupe pour combattre le racisme dans la ville. Le groupe est baptisé National Unity Association (NUA). Il est principalement composé de fermiers et de travailleurs spécialisés noirs de Dresden et de la région environnante. Hugh Burnett devient secrétaire du groupe, un de ses organisateurs clés et son principal porte-parole. Revenu à Dresden, il lance également une prospère entreprise de menuiserie.

En 1948, la NUA milite pour que le conseil municipal de Dresden vote un règlement contre la discrimination dans les entreprises locales. Après un refus initial, le conseil accepte de soumettre l’idée à un référendum l’année suivante. L’historien James Walker laisse entendre que c’est « la première, et la seule fois dans l’histoire du Canada, où le racisme est soumis à un scrutin ». Grâce aux efforts de Hugh Burnett et d’autres personnes, la discrimination à Dresden commence à attirer l’attention des médias, dont un article de fond du magazine Maclean’s en 1949 intitulé « Jim Crow Lives in Dresden » (Jim Crow est bien vivant à Dresden). Cette publicité est un succès pour la NUA, mais le référendum l’est moins : les résidents de la ville votent à cinq contre un contre un règlement anti-discrimination. Ce chiffre correspond à peu près au ratio des populations blanche et noire de Dresden.

En 1950, Hugh Burnett et la NUA se joignent à une coalition de militants des droits de la personne qui font campagne pour une loi provinciale contre la discrimination. En 1951, à la suite de cette campagne, le gouvernement du premier ministre provincial Leslie Frost promulgue le Fair Employment Practices Act, qui interdit la discrimination dans l’emploi. Toutefois, comme le souligne Hugh Burnett dans une lettre à Leslie Frost, cette loi ne prévoit rien contre les pratiques discriminatoires dans la fonction publique, un problème central à Dresden. En 1954, la NUA commence à travailler énergiquement avec le Joint Labour Committee for Human Rights de Toronto pour exiger une nouvelle loi anti-discrimination en Ontario.

En mars 1954, Hugh Burnett est un des principaux interlocuteurs d’une délégation pour les droits civils qui rencontre le premier ministre Frost et son cabinet afin de demander une loi contre la discrimination dans la fonction publique. Les journaux rapportent que le premier ministre est particulièrement touché, ce jour-là, par le témoignage de Hugh Burnett. Peu après, le gouvernement Frost propose le Fair Accommodation Practices Act, qui interdit la discrimination sur la base de la race, de la religion et d’autres critères dans la fonction publique et le logement. C’est une victoire pour Hugh Burnett, la NUA et leurs alliés.

Manifestations dans les restaurants de Dresden

Le Fair Accommodation Practices Act entre en vigueur en juin 1954. À Dresden, cependant, Hugh Burnett et la NUA constatent rapidement que beaucoup de propriétaires d’entreprise refusent de se conformer à la nouvelle loi. Deux restaurants locaux sont particulièrement connus pour leur refus de service : Kay’s Café, appartenant à Morley McKay, et Emerson’s Restaurant, propriété de Matthew et Anne Emerson. Hugh Burnett et la NUA mettent au point une tactique : ils entreront dans ces restaurants, prendront place et demanderont qu’on les serve. Lorsqu’on refusera de le faire, ils feront une plainte officielle en vertu du Fair Accommodations Practices Act. James Walker note que cette tactique ressemble aux fameux sit-in du mouvement américain pour les droits civiques. En fait, les sit-in de Dresden ont lieu plus de cinq ans avant que cette tactique ne se répande aux États-Unis.

Grâce à l’activité infatigable d’Hugh Burnett, de la NUA et de leurs alliés, le problème continue à faire les manchettes dans le pays en 1954. Au début, malgré les plaintes officielles qui s’accumulent, le gouvernement provincial n’intente pas de poursuite contre les restaurants de Dresden.

Sous l’œil scrutateur du public, les propriétaires d’entreprise de Dresden réagissent en fermant boutique dès qu’ils voient arriver des membres de la NUA. Il devient très difficile pour l’association de continuer à documenter son dossier. Avec l’aide de Sid Blum et du Toronto Joint Labour Committee, la NUA met au point une nouvelle stratégie, qui consiste à coordonner des tests menés par des non-résidents, inconnus des propriétaires des entreprises de Dresden. Un journaliste de Toronto les accompagne pour documenter les tests, permettant à la NUA de continuer à recueillir des preuves de discrimination, et ainsi de conserver l’attention médiatique sur la question.

À la fin de 1954, une cause type impliquant Bromley Armstrong (syndicaliste noir et activiste des droits de la personne) et Ruth Lor, un Sino-Canadienétudiant à l’Université de Toronto et secrétaire du mouvement des étudiants chrétiens de l’Université de Toronto) s’attire une excellente couverture médiatique et entraîne des poursuites contre le propriétaire du Kay’s Café, Morley McKay. Ultimement, McKay est jugé non coupable dans cette affaire.

Burnett et le Toronto Joint Labour Committee n’abandonnent pas pour autant. En novembre 1955, une autre cause type connaît plus de succès. Deux étudiants trinidadiens de l’Université de Toronto, Jake Alleyne et Percy Bruce, se voient refuser le service au Kay’s Café et déposent une plainte. Au début de 1956, McKay est à nouveau accusé. Il est enfin trouvé coupable, et obligé de payer les amendes prévues.

Le 16 novembre 1956, des membres de la NUA se rendent au Kay’s Café. Pour la première fois, ils se font servir. La poursuite contre McKay est une important victoire pour Hugh Burnett et la NUA, et pour les droits et libertés des communautés noires à Dresden et dans tout l’Ontario.

Vie personnelle

Le militantisme de Hugh Burnett lui coûte cher, ainsi qu’à sa famille. Ils sont la cible de menaces anonymes et d’actes de violence. Peu après la victoire de 1956 à Dresden, Hugh Burnett doit quitter la ville pour trouver du travail, car son entreprise de menuiserie est boycottée par les locaux en colère. Vers la même époque, lui et sa femme, Beatrice, divorcent. Dans un documentaire de la CBC, sa fille Patricia raconte comment son militantisme a affecté sa mère : « C’est elle qui compensait quand le revenu de mon père devenait de plus en plus bas, et qui utilisait de moins en moins de pommes de terre et d’oignons pour essayer de préparer un repas […] elle s’est mariée en comptant fonder une famille […] et la famille a été mise de côté pour faire cela. » Malgré ces années difficiles, Patricia admire la ténacité de son père, et son engagement pour la justice : « Je ne sais pas si je crois à la destinée, mais je pense qu’il était sur terre pour faire ce qu’il a fait. Il devait le faire. »

Après être déménagé à London, Ontario, en 1956, Hugh Burnett se fait peu remarquer, continuant à pratiquer la menuiserie et travaillant pour plusieurs compagnies. Bien qu’il ne fasse plus les manchettes comme avec l’« affaire de Dresden », il continue, selon ses proches, à soutenir les organisations anti discrimination en Ontario pendant toute sa vie. Il décède en 1991, à l’âge de 73 ans.

Signification

Hugh Burnett a représenté une infatigable force de changement dans sa communauté, et dans le combat pour obtenir une loi sur les droits de la personne en Ontario. Ses efforts, avec la NUA, pour attirer l’attention sur la discrimination raciale à Dresden, ont tendu un miroir à la société canadienne, forçant une reconnaissance publique de l’existence du racisme systémique en Ontario et au Canada. Il a joué un rôle central pour amener la création du Fair Employment Practices Act en 1951 et du Fair Accommodation Practices Act en 1954. Ces lois provinciales ont préparé le terrain à des protections plus complètes des droits de la personne dans les lois canadiennes, dont la Charte canadienne des droits et libertés. Commentant le Fair Accommodations Practices Act en 1954, dans un reportage d’actualités, Hugh Burnett se montrait à la fois pragmatique et plein d’espoir :

« On a dit qu’on ne pouvait faire une loi pour forcer un homme à en aimer un autre. Je crois que le premier ministre Frost sait très bien que la loi ne fera pas cela, mais elle éliminera les actes de discrimination. Et, bien sûr, nos sentiments personnels suivront plus tard. Nous apprendrons à nous aimer les uns les autres. »

Honneur

En 2010, une plaque est installée à Dresden par le Ontario Heritage Trust pour honorer la mémoire d’Hugh Burnett.

Lecture supplémentaire

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