Lulu Anderson | l'Encyclopédie Canadienne

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Lulu Anderson

Lulu Jane Anderson, militante des droits civils (née vers 1885-1886 à Atlantic City, dans l’État du New Jersey; date de décès inconnue). Lulu Anderson était une femme noire qui a lancé une poursuite à l’encontre du Metropolitan Theatre d’Edmonton après qu’on lui ait refusé l’entrée. Son affaire judiciaire a suscité un grand intérêt à l’époque, son procès ayant été couvert par de nombreux journaux. L’affaire Lulu Anderson représente un exemple précoce d’activisme en faveur des droits civils des Noirs en Alberta. Les actions de Lulu Anderson, ainsi que celles d’autres militants noirs, montrent qu’il existait au Canada dans les années 1900 une résistance concrète à la ségrégation.

Contexte historique

Lulu Anderson, en Alberta, vit dans un environnement marqué par un racisme solidement enraciné à l’égard des Noirs.

La présence de personnes de race noire en Alberta remonte à plus de deux siècles. (Voir L’histoire des Noirs au Canada jusqu’en 1900.) Les premiers Albertains noirs à être recensés sont des commerçants de fourrures venus dans cette province pour travailler. (Voir Commerçants de fourrures noirs au Canada.) La plus large cohorte d’immigrants noirs en Alberta arrive au début du 20e siècle en provenance des États-Unis. Ils ont droit à un accueil des plus froids. En 1911, le conseil municipal d’Edmonton adopte une motion demandant la fin de l’immigration noire. Dans cette motion, on soutient que les Albertains noirs, incapables de coexister paisiblement avec les Albertains blancs, nuisent à la réputation de la province.

En 1911, un militant conservateur de Lethbridge du nom de C.E. Simmonds prononce un discours qui sera imprimé dans les pages de l’Evening Journal d’Edmonton, avec le titre « We Want No Dark Spots in Alberta » (Préservons la pureté blanche de l’Alberta) ». C.E. Simmonds, craignant que la récente vague d’immigration noire ne conduise à un Alberta à prédominance noire (Black Alberta), y va également d’une déclaration sans équivoque : « Nous ne souhaitons pas que ce nom nous soit rattaché, pas plus que nous ne voulons d’une province parsemée de taches noires. » (Voir aussi Décret C.P. 1911-1324 – proposition d’interdiction de l’immigration noire au Canada.)

Devant une telle résistance, l’immigration noire chute. Malgré tout, les communautés noires persistent, mais la discrimination en fait tout autant.

En 1924, la Ville d’Edmonton interdit aux Noirs d’utiliser la piscine du parc Borden. Dans les années 1920 et 1930, les hôpitaux d’Edmonton refusent de traiter les patients de race noire. En 1938, Rhumah Utendale étudie pour devenir la première infirmière noire de la ville; on lui barrera toutefois la route en raison de la couleur de sa peau. (Voir Ségrégation raciale des Noirs au Canada.) Il est également important de noter que le Ku Klux Klan connaît une montée en puissance en Alberta dans les années 1920 et 1930.

Vie au Canada

On sait très peu de choses sur la vie de Lulu Anderson en raison du nombre restreint de documents d’archives et de la destruction des dossiers juridiques liés à son affaire. Selon les informations qu’on a, elle est née à Atlantic City, aux États-Unis, vers 1885 ou 1886.

Lulu Anderson déménage à Edmonton, en Alberta, élisant domicile au 9609 105th Avenue. Elle joue un rôle actif au sein de son église locale, chantant notamment dans sa chorale. Les articles de l’Edmonton Bulletin mentionnent régulièrement son nom; on peut notamment y lire qu’elle a déjà vendu 100 billets pour un spectacle de chant d’église. À une occasion, Lulu Anderson chante pour la députée provinciale Nellie McClung, l’une des « Cinq femmes célèbres ».

Instance judiciaire contre The Brown Investment Company

Le 12 mai 1922, Lulu Anderson se rend au Metropolitan Theatre pour assister à une représentation de la pièce The Lion and The Mouse. Le personnel du théâtre lui refuse l’entrée et, aux dires de l’Edmonton Journal, va même jusqu’à l’agresser physiquement.

L’Edmonton Journal rapporte qu’à la suite de cet incident, Lulu Anderson embauche l’avocat Samuel Wallace du cabinet Joseph A. Clarke and Company.

Une chronique intitulée « Our Negro Citizens » (Nos citoyens noirs), toujours dans les pages de l’Edmonton Journal, fait état de cette action en justice. On y mentionne qu’« une action en justice non négligeable pour les résidents de couleur de la ville a été intentée » par Lulu Anderson « du fait de la couleur de sa peau ». On peut lire un peu plus loin que Lulu Anderson et un ami, ayant en main des billets pour l’orchestre, ont été « repoussés de manière brutale ». L’article décrit l’intérêt que les membres racisés de la communauté auraient pu porté à cet incident, ayant vu « leurs droits conférés par la Couronne britannique ainsi bafoués ». (Voir aussi Impérialisme).

L’affaire Lulu Anderson, qui a lieu du 26 mai au 3 novembre 1922, se conclut par un verdict du juge Lucien Dubuc à l’encontre de l’instigatrice. Le Winnipeg Evening Tribune, dans son compte rendu de l’affaire intitulé « Color Line Confirmed » (La ligne de couleur est bien réelle), fait état du verdict précisant que « la direction est autorisée à refuser l’admission à quiconque sur présentation (remboursement) du prix du billet acheté. » Cette décision a pour effet d’ancrer encore davantage les pratiques de ségrégation raciale en Alberta.

Destruction des dossiers

Les dossiers judiciaires relatifs à l’affaire Lulu Anderson sont difficiles à trouver aujourd’hui, étant donné que les dossiers allant de la période de 1921 à 1949 sont détruits en 1971.

Selon Marlena Wyman, historienne officielle d’Edmonton, c’est à l’époque le gouvernement, et non les archives, qui décide de détruire ces documents.

Un dossier complet sur cette affaire permettrait aux chercheurs de mieux comprendre la bataille juridique menée par Lulu Anderson. Par exemple, les archives judiciaires de Charles Daniels, un citoyen noir de Calgary ayant intenté un procès similaire en 1914, sont disponibles. Grâce à ces dossiers, nous sommes en mesure de comprendre ce qui l’a poussé à intenter une action en justice, dans ses propres mots. Dans le cas de Lulu Anderson, les reportages disponibles n’offrent pour la plupart aucune citation venant d’elle.

Par conséquent, nous ne pouvons que déduire et imaginer l’impact qu’une telle affaire a pu avoir sur Lulu Anderson, une femme noire qui vivait dans une ville où régnait la ségrégation raciale et où le Ku Klux Klan prenait de plus en plus d’expansion.

Héritage

Lulu Anderson a perdu son procès, certes, mais sa lutte juridique n’en demeure pas moins importante. Elle a clamé haut et fort sa résistance à la ségrégation raciale, et ce, vingt ans avant Viola Desmond et trente ans avant Rosa Parks. Cependant, si ces deux femmes laisseront une marque indélébile dans l’histoire, Lulu Anderson, elle, restera largement méconnue.