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La propagande au Canada

La propagande fait référence aux messages qui visent à répandre, ou « propager », une idéologie ou une vision du monde. Des psychologues ont défini la propagande comme « une persuasion manipulatrice au service d’un objectif » ou une communication qui « incite un individu à suivre des pulsions émotionnelles non rationnelles ». Pendant la Première Guerre mondiale, la propagande a été utilisée pour recruter des soldats et des partisans. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, elle a pris un virage plus ténébreux, étant utilisée pour véhiculer des mensonges qui répandaient des idéologies et des pratiques haineuses. (Voir aussi Fausses nouvelles (ou désinformation) au Canada.) Pendant la Guerre froide, les gouvernements de l’Est et de l’Ouest ont utilisé la propagande pour répandre leurs idéologies sur le capitalisme et la démocratie, le communisme et l’Union soviétique. Aujourd’hui, la propagande se retrouve surtout dans les médias sociaux, et elle sert à mobiliser le soutien ou l’opposition à divers mouvements politiques, économiques ou sociaux.

Affiche de propagande de la Première Guerre mondiale

Affiche pour une campagne de financement canadienne, durant la Première Guerre mondiale, où l’on peut voir trois femmes françaises tirant une charrue.

(avec la permission de Wikimedia Commons)


Contexte historique

Le mot propagande provient du mot latin propagare, qui décrit la manière dont les végétaux se propagent et agrandissent leur territoire. Dans les années 1600, le mot acquiert une signification métaphorique pour décrire la manière de répandre ou de propager une idéologie ou une pratique, habituellement concernant la religion, aussi largement que possible. Cette histoire de la propagande fait ses débuts dans les années 1600. Le pape Grégoire XV emprunte son sens biologique (c’est-à-dire reproduire et diffuser) pour désigner la diffusion du message chrétien. Il met sur pied un groupe dédié à cette tâche et le nomme la Congregatiode propaganda fide (« congrégation pour propager la foi »), ce qui signifie répandre la foi.

Dans les années 1800, les gens utilisent la propagande dans un contexte politique, dans le but de convaincre d’autres personnes qu’une dite position politique est la meilleure. Dans les deux cas, le mot désigne la pratique consistant à tenter de convaincre les autres de ce en quoi ils doivent croire, ou ce qui sert leurs intérêts.

Propagande durant la Première Guerre mondiale

Pendant la Première Guerre mondiale, la signification du mot change considérablement. Il commence à désigner un discours bourré d’exagérations ou même de mensonges.

Les gouvernements ont besoin de millions d’hommes pour combattre à la guerre, ainsi qu’un million de personnes de la population générale pour la maintenir. Au Canada, le gouvernement et d’autres organismes utilisent souvent des affiches dépeignant des images évocatrices et des mots chargés d’émotion afin de promouvoir l’effort de guerre. Une affiche du Fonds patriotique canadien, un organisme privé qui recueille des fonds pour les familles des soldats, publie une affiche qui déclare : « si vous ne pouvez vous joindre à lui, vous devriez l’aider, elle », la première partie de la phrase se trouvant à côté de l’image d’un soldat au front, et la deuxième partie, à côté de l’image d’une mère et ses deux enfants. Une affiche de la Commission canadienne du ravitaillement presse les adolescents à reprendre le travail laissé par les hommes partis au combat. Elle utilise le signal de détresse international « SOS » pour signifier « Soldiers of the Soil » (soldats de la terre). Elle exhorte ainsi les garçons, jeunes et plus vieux, à travailler sur les fermes pour éviter les pénuries alimentaires (voir aussi Insécurité alimentaire au Canada).

L’armée américaine publie une affiche, devenue aujourd’hui emblématique, qui montre « Uncle Sam » (l’oncle Sam) pointant du doigt le spectateur et lui disant : « I want YOU for U.S. Army » (j’ai besoin de VOUS pour l’armée américaine). Une affiche de propagande australienne promet aux hommes qui s’enrôlent pour combattre en Europe « un voyage gratuit en Europe », ainsi que de la nourriture, des vêtements, et de l’aventure lors du « plus grand événement de leur vie ». L’Allemagne met le public en garde contre les dangers de perdre la guerre avec des affiches comportant des slogans comme « What England Wants! » (ce que veut l’Angleterre) accompagné d’une image dépeignant un homme aux yeux bandés portant un lourd sac sur son dos, qui tombe d’une falaise. La publication avertit le public qu’une victoire britannique enverrait les Allemands « dans l’abîme ».

Définition psychologique de la propagande

En 1931, le spécialiste en sciences sociales, William W. Biddle, publie une étude approfondie dans le Journal of Abnormal & Social Psychology sur la propagande utilisée pendant la Première Guerre mondiale. Son article intitulé « A psychological definition of propaganda » (une définition psychologique de la propagande) conclu que la propagande, « en tant que moyen de contrôle social, repose moins sur des techniques qui aident l’individu à contrôler intelligemment sa conduite, mais davantage sur des techniques qui incitent l’individu à suivre ses pulsions émotionnelles non rationnelles. » William Biddle identifie également quatre grands principes auxquels adhère une propagande réussie : « 1) s’appuyer sur les émotions, ne jamais argumenter ; 2) baser la propagande sur le modèle du “nous” contre l’ennemi ; 3) cibler les groupes autant que les individus et 4) dissimuler le propagandiste autant que possible. »

Propagande durant la Deuxième Guerre mondiale

Durant la Deuxième Guerre mondiale, les gouvernements utilisent la propagande d’une manière plus délibérée et planifiée. La technologie a fait une avancée rapide au moment où la guerre éclate, en 1939. Le Canada possède maintenant une radio nationale, la CBC (fondée en 1936), ainsi qu’une entité de production cinématographique financée par le gouvernement, l’Office national du film  (fondé en 1939). À partir de 1940, l’ONF collabore avec le ministère des Services nationaux de guerre pour produire En avant Canada, une série de courts métrages de propagande célébrant le rôle du Canada dans l’effort de guerre, au pays et en Europe. Ces films sont présentés dans les cinémas avant les longs métrages.

L’ONF réalise à peu près 500 films durant la Deuxième Guerre mondiale. Son commissaire fondateur, John Grierson, qui a inventé le terme « documentaire », décrit les films de propagande comme « un marteau pour façonner la société ». Dans un de ces films, Churchill’s Island (1941), l’Angleterre est dépeinte comme une île paisible et noble face aux invasions nazies. Le film est si bien fait et si efficace dans la transmission de son message qu’il remporte le premier Oscar pour meilleur court métrage documentaire. L’ONF utilise ce type de films pour façonner l’identité nationale et persuader les Canadiens de soutenir l’effort de guerre.


Mais c’est l’Allemagne nazie qui utilise le plus intensément la propagande afin de justifier des crimes de guerre comme l’Holocauste. Adolf Hitler écrit que la propagande doit « cibler les émotions » et doit présenter quelques slogans simples répétés inlassablement. Hitler utilise la propagande non pas pour dire la vérité, mais pour « servir notre bon droit, toujours et indéfectiblement ».

En 1933, Adolf Hitler crée le ministère de l’Éducation du peuple et de la Propagande du Reich, dirigé par Joseph Goebbels. Il contrôle la plupart des films, de la radio, du théâtre et de la presse en Allemagne. Des films racistes dépeignent les Juifs comme un peuple diabolique et sous-humain afin de persuader les Allemands que les lois antisémites sont nécessaires. Les journaux allemands publient des caricatures racistes qui démontrent que les Juifs cherchent à détruire l’Allemagne. La propagande nazie, comme les films The Triumph of the Will (1935) et Olympia (1938) de Leni Riefenstahl, dépeigne Hitler et les nazis comme les sauveurs héroïques de la nation.

Les nazis utilisent également la propagande pour dissimuler leurs crimes. En 1944, la Croix-Rouge internationale veut faire enquête en raison de préoccupations croissantes au sujet d’atrocités antisémites, alors l’Allemagne lui ouvre les portes d’un ghetto tchécoslovaque. Le gouvernement allemand crée le ghetto de Theresienstadt en 1941 comme moyen de propagande, afin de montrer aux citoyens allemands inquiets que les Juifs sont bien traités. Le ghetto est nettoyé avant la visite de la Croix-Rouge. Les résidents juifs sont filmés pendant un concert, afin de montrer qu’ils sont en sûreté. Après le départ de la Croix-Rouge, les nazis envoient un grand nombre de ces gens mourir à Auschwitz.

Propagande durant la Guerre froide

La fin de la Deuxième Guerre mondiale laisse une grande partie du monde divisée en deux camps : l’Ouest capitaliste dirigé par les États-Unis, et l’Est dominé par l’Union soviétique. Les deux côtés de cette nouvelle Guerre froide s’affrontent par le biais de la propagande pour convaincre les gens que leur mode de vie est bon et juste, et que celui de l’adversaire est immoral et malfaisant.

Au Canada, la Canadian-Soviet Friendship Society (Société d’amitié Canada-URSS) est fondée en 1949 afin de promouvoir une vision positive de l’Union soviétique. Le groupe présente ses membres comme des Canadiens ordinaires soucieux d’avoir une vie équilibrée en URSS. Toutefois, des recherches subséquentes révèlent que le groupe est en réalité une façade pour le Parti communiste du Canada. L’URSS lui fournit du matériel de propagande à diffuser au Canada au moyen de présentations publiques et de publications. Ce matériel de propagande présente Joseph Staline comme le bâtisseur de l’Union soviétique, et non comme un dictateur et un meurtrier de masse. Il soutient que les autorités canadiennes sont en fait des membres de la classe dominante qui s’efforcent de réprimer les droits des Canadiens de la classe ouvrière (voir aussi Classes sociales ; Élites). 

Une grande partie de la propagande de l’Union soviétique vise ses propres citoyens. Elle montre des travailleurs forts et en santé, qui vivent dans l’abondance au soleil. Et ce, malgré une famine généralisée sévissant dans les campagnes.

En 1955, le gouvernement américain imprime des brochures qui présentent les États-Unis comme un pays sans classes sociales, une nation où des gens de toutes origines raciales et nationales vivent ensemble dans l’harmonie, et ont des chances égales de réussite. En Union soviétique, Voice of America est diffusé à la radio et présente la même vision idyllique de la vie des Américains.

De son côté, l’URSS se concentre sur le mouvement des libertés civiles aux États-Unis pour prouver qu’il s’agit en fait d’un pays qui est en réalité violemment raciste. Lorsque le gouverneur de l’Arkansas envoie des soldats de la Garde nationale pour empêcher les élèves noirs d’aller à l’école secondaire, le journal soviétique Komsomolskaya Pravda fait la manchette avec le titre : « Des troupes envoyées contre des enfants ! » La couverture soviétique déclare que les efforts faits pour arrêter le mouvement des droits civils prouvent que la démocratie américaine n’est qu’une « façade » cachant la tragédie qui sévit.

Le modèle de propagande d’Edward Herman et Noam Chomsky

En 1988, les penseurs américains Edward Herman et Noam Chomsky publient Manufacturing Consent : The Political Economy of the Mass Media (trad. La Fabrication du consentement : de la propagande médiatique en démocratie). Dans cet ouvrage, ils soutiennent que les compagnies médiatiques tentent « d’inculquer aux individus les valeurs, les croyances et les codes comportementaux assurant leur intégration dans les structures institutionnelles de la société ». Selon Justin Podur, professeur de l’Université York, le livre « démontre comment une presse libre privée peut fonctionner comme un système de propagande qui trompe ses lecteurs tout aussi efficacement qu’une censure gouvernementale autoritaire ».

Dans leur livre, Edward Herman et Noam Chomsky discutent du « modèle de propagande » qui, selon eux, montre comment les journalistes « servent les intérêts de l’élite dominante ». Ils dressent une liste de cinq nouveaux « filtres » qui composent ce modèle de propagande :

  1. La grande taille des entreprises qui possèdent des médias privés ;
  2. Le fait que plusieurs des médias comptent sur la publicité pour faire de l’argent ;
  3. Le fait que les journalistes comptent sur les gouvernements, les entreprises ou les experts pour obtenir l’information ;
  4. L’influence des critiques ou les réactions négatives aux reportages qui peuvent changer ce que les journalistes couvrent ;
  5. La manière dont la peur anticommuniste des propriétaires et des membres de l’élite mène les journalistes à voir le communisme comme le « mal absolu » et à le présenter négativement.

Edward Herman et Noam Chomsky soutiennent que « ces cinq filtres réduisent la gamme des informations qui franchissent les barrières, et limitent encore plus étroitement celles qui feront la une importante ». Ils discutent également longuement de l’analyse du sociologue Alex Carey. Celui-ci soutient que « le vingtième siècle a été caractérisé par trois développements politiques extrêmement importants : la croissance de la démocratie, la croissance du pouvoir des entreprises, et la croissance de la propagande d’entreprise comme moyen de protéger les intérêts corporatifs contre la démocratie. »

La propagande contemporaine à l’ère de la post-vérité

Les gens d’aujourd’hui sont plus susceptibles de faire face à de la propagande par le biais de la publicité, ce qui correspond parfaitement à la définition classique de la propagande en tant que « persuasion manipulatrice au service d’intentions cachées », ainsi que par le biais des médias sociaux, plutôt que simplement filtrée par les entreprises de médias traditionnelles. En conséquence, le professeur Justin Podur de l’Université York affirme que les cinq filtres du modèle de propagande identifié par Edward Herman et Noam Chomsky « sont devenus suralimentés. Et de nouveaux filtres ont raffiné la propagande en quelque chose qui ressemble davantage à un contrôle des esprits ».

En 2018, un ancien employé de la firme britannique d’experts-conseils Cambridge Analytica a révélé que la société avait recueilli les informations privées d’environ 87 millions de comptes Facebook. La firme a ensuite utilisé ces informations pour aider Donald Trump à remporter l’élection présidentielle américaine de 2016. La compagnie a aidé Donald Trump à adapter son message sur mesure pour les Américains. Les électeurs des régions démontrant un fort soutien à Donald Trump voyaient des publicités du candidat triomphant, avec les coordonnées des bureaux de vote les plus proches. Les électeurs situés dans les régions affichant un faible soutien à Donald Trump ne le voyaient pas, mais voyaient plutôt des célébrités qui le soutenaient.

En 2019, le bureau du Commissaire fédéral à la protection de la vie privée du Canada déclare qu’il poursuivra Facebook devant les tribunaux pour avoir prétendument enfreint plusieurs lois canadiennes sur la protection de la vie privée et pour ne pas avoir pas protégé les informations personnelles. Le commissaire révèle qu’une application appelée « This is Your Digital Life » offrait un questionnaire de personnalité destiné aux utilisateurs de Facebook, cette application recueillait les informations personnelles sur les utilisateurs et celles de leurs amis Facebook. Ces données ont ensuite été utilisées à des fins politiques par le cabinet de conseil britannique.

Tous ces événements, ainsi que les « fausses nouvelles  » et d’autres formes contemporaines de propagandes, comme les vidéos « deepfakes » qui utilisent l’intelligence artificielle pour donner l’impression qu’une personne semble dire ou faire des choses qu’elle n’a en fait jamais dites ou faites, mènent de nombreux commentateurs à soutenir que nous sommes entrés dans un « monde de post-vérité ». Les années à venir verront probablement une lutte entre ceux qui cherchent à gagner et maintenir leur pouvoir en exploitant une propagande remplie de mensonges et de manipulation, et ceux qui offrent un correctif en s’appuyant sur des arguments valables et factuels pour remporter les débats publics.

Voir aussi : Propagande haineuse; Mésinformation au Canada; Éducation aux médias; Journalisme.

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