Alfred Évanturel | l'Encyclopédie Canadienne

Article

Alfred Évanturel

François-Eugène-Alfred Évanturel, avocat, fonctionnaire, député, ministre, journaliste et greffier (né le 31 août 1846 à Québec, Québec; décédé le 15 novembre 1908 à Alfred, Ontario). Député provincial libéral de l’Ontario de 1886 à 1905, il est le premier Canadien français à avoir été nommé ministre provincial et le seul à avoir occupé le fauteuil de président de l’Assemblée législative de l’Ontario (1897-1902).
Alfred \u00c9vanturel

Origines et formation

Alfred Évanturel est né le 31 août 1846 à Québec dans une famille bourgeoise gravitant autour des intellectuels du Parti rouge. Son père, François Évanturel, est député de la circonscription de Québec de 1855 à 1857, puis de 1861 à 1867, et ministre de l’Agriculture et des Statistiques dans le cabinet de John Sandfield MacDonald et de Louis-Victor Sicotte (1862-1863). François Évanturel appuie mollement la Confédération, rassuré seulement par le fait que la création d’une province canadienne-française permettra de rapatrier les pouvoirs dans les domaines sociaux et culturels.

Macdonald, John Sandfield
Sandfield Macdonald s'oppose \u00e0 la fois au concept de fédéralisme et \u00e0 l'union avec les Maritimes (avec la permission des Biblioth\u00e8que et Archives Canada/C-10896).

Son fils Alfred fait ses études au Séminaire de Québec; il s’exprime publiquement une première fois dans le journal étudiant. Diplômé en droit de l’Université Laval en 1868, il est reçu au Barreau de Québec en janvier 1870 et il est durant quelques années associé de Thomas McCord, avocat de la Couronne et greffier de l’Assemblée législative du Québec. À l’hiver 1874, Alfred Évanturel accepte un poste au cabinet du ministre fédéral des Travaux publics. C’est à Ottawa que son épouse, Louisa Lee, met au monde leurs deux enfants, Stella (1876) et Gustave (1878).

Séminaire de Québec
Le Séminaire, Québec, 1886 (avec la permission du Musée McCord, M662).

Carrière et engagement

Dans le dernier quart du 19e siècle, des milliers de Canadiens français migrent en Ontario; ils colonisent les cantons unis de Prescott et Russell ou intègrent la fonction publique fédérale. Lors du recensement canadien de 1881, l’Ontario compte 103 000 Canadiens français qui composent 64 % de la population de Prescott et le quart des résidents d’Ottawa. Dès 1875, Alfred Évanturel siège à la Commission des écoles séparées d’Ottawa et fréquente l’Institut canadien-français d’Ottawa. En 1878, il est convoqué à la Cour provinciale à L’Orignal (Ontario) pour défendre un client unilingue francophone et envisage d’y faire carrière. Il se fait remarquer lors des festivités de la Saint-Jean-Baptiste en juin 1880 par un discours qui incite les Canadiens français à demeurer fidèles à leurs origines et à former une conscience locale pour exiger un meilleur respect de la part de la majorité anglo-protestante.

Stratégique, Alfred Évanturel pratique comme avocat généraliste à Saint-Victor-d’Alfred à partir du printemps 1882, puis se présente comme modéré à l’investiture conservatrice (sachant que l’électorat de Prescott vote pour le Parti conservateur depuis longtemps) en vue des élections provinciales de 1883. Défait, il continue de pratiquer le droit et tire profit de la grogne entourant la pendaison de Louis Riel pour lancer, en août 1886, un feuilleton hebdomadaire « rouge », L’Interprète.

Aux élections provinciales du 28 décembre 1886, il est élu député libéral de Prescott. Son hebdomadaire bénéficie de centaines de dollars en publicité du Parti libéral du Québec. Il soutient les positions des libéraux à Ottawa, à Toronto et à Québec et associe les conservateurs aux agissements des orangistes les plus fanatiques. Appelé à défendre les écoles bilingues à Queen’s Park en mars 1887, il rappelle la volonté libérale d’y assurer un bon enseignement de l’anglais et d’améliorer la formation des institutrices canadiennes-françaises (voir Question des écoles de l’Ontario). En voulant fidéliser l’électorat catholique, le premier ministre Oliver Mowat défend le partage des pouvoirs et le respect des minorités religieuses et ethniques. Ainsi, Alfred Évanturel arrive dans un gouvernement qui n’a pas l’intention de déclencher de crises scolaires similaires à celles du Nouveau-Brunswick ou du Manitoba (voir Question des écoles du Nouveau-Brunswick; Question des écoles du Manitoba).

Cependant, le premier ministre Mowat doit réagir à la nervosité ressentie par une partie de l’électorat qui craint « l’invasion » de l’Ontario par les migrants canadiens-français. La correspondance d’Alfred Évanturel souligne son intérêt pour le renforcement des écoles bilingues de sa circonscription et son travail auprès du ministre de l’Éducation, George Ross, qui le consulte dans l’élaboration des politiques. En Chambre, il est appelé en renfort comme député d’arrière-ban pour appuyer la position gouvernementale, puis rappeler la loyauté des Canadiens français envers la Couronne britannique et leur volonté de construire une nouvelle nation « entre deux éléments forts » (« between two great elements »), comme il l’exprime si bien mars 1887. En janvier 1890, George Ross ouvre d’ailleurs une première école modèle bilingue à Plantagenet. Or, les règlements scolaires de l’hiver 1890 exigent aussi que les écoles bilingues enseignent, lorsque la chose est possible, plus de matières en anglais.

Sir Oliver Mowat
Photo prise en 1902 \u00e0 l'époque o\u00f9 Mowat est lieutenant-gouverneur de l'Ontario.

Le premier ministre Mowat présente Alfred Évanturel comme un trait d’union entre les « deux éléments » du Canada lors d’une conférence interprovinciale en 1887 et lui confie la tâche de fidéliser l’électorat catholique et canadien-français en Ontario. Bon soldat, Évanturel accepte, mais suggère plutôt par l’entremise de L’Interprète qu’on le nomme au conseil des ministres. L’année suivante, il fait part de son désir à George Ross qui lui explique que le cabinet comprend déjà un ministre catholique. De son côté, le chef du Parti libéral du Canada Wilfrid Laurier lui demande de patienter puisque « la chose [viendra] d’elle-même ». Alfred Évanturel maintient ses tournées auprès de la majorité des « groupes français d’Ontario » et des catholiques de langue anglaise pendant la maladie du ministre Christopher Fraser, lui-même défenseur de la minorité catholique. On fait également appel à ses talents d’orateur lors des rassemblements organisés pendant les campagnes électorales fédérales et québécoises.

Wilfrid Laurier, 1891

Certes, les catholiques et les protestants de langue anglaise ont des représentants dans le cabinet d’Honoré Mercier au Québec, mais la menace d’Alfred Évanturel de démissionner pour se présenter comme candidat libéral fédéral et le fait qu’on laisse entendre que ses électeurs de Prescott ne le rééliraient pas s’il n’était pas nommé au cabinet sont des stratégies farfelues. L’élection de Laurier en juin 1896 vient toutefois changer la donne. Ce dernier fait pression sur le nouveau premier ministre ontarien Arthur Hardy afin qu’il nomme Évanturel ministre. « Du point de vue de la politique du Dominion », Laurier lui écrit, « pareille décision [...] ferait contrepoids à la question scolaire [du Manitoba] en montrant la libéralité de nos amis ontariens envers leurs frères de langue française ». Hardy hésite d’abord, puis nomme Évanturel à la présidence de l’Assemblée législative en 1897, fonction qu’il exerce jusqu’en 1902.

Hardy, Arthur Sturgis
L'honorable Arthur Sturgis Hardy, premier ministre de l'Ontario de 1896 \u00e0 1899 (avec la permission des Archives publiques de l'Ontario).

Si les journaux canadiens-français se réjouissent de cette nomination, le rôle d’Alfred Évanturel demeure protocolaire. Il représente l’Ontario à l’Exposition universelle de Paris et sa correspondance indique que ses interventions se limitent aux demandes de patronage et à la question scolaire. En 1899, Arthur Hardy autorise les commissions scolaires catholiques à percevoir des taxes scolaires pour des classes « post-élémentaires » (les neuvième et dixième années) dans les milieux ruraux n’ayant pas de « high school» public. Comme les Canadiens français habitent largement dans des régions rurales, il s’agit d’un gain important pour l’essor d’un système éducatif franco-ontarien. Les Canadiens français de l’Ontario comptent désormais 200 000 personnes. Ils représentent 40 % des catholiques, ils sont majoritaires dans plusieurs localités de l’Est et du Nord-Est de la province et ils sont à l’origine de quelques centaines de paroisses, d’écoles et d’associations. Ils forment désormais une collectivité « viable », pour reprendre l’expression de l’historien Gaétan Gervais.

À l’automne 1904, Alfred Évanturel est nommé ministre sans portefeuille, une récompense qui sera toutefois de courte durée. À l’élection de janvier 1905, il est défait tout comme son gouvernement. Évanturel souhaite siéger comme « sénateur de langue française » pour l’Ontario. Si Laurier y est favorable en 1902, le cours des événements fait en sorte que d’autres candidatures (parmi lesquelles celle de Napoléon Belcourt) sont plus stratégiques en 1907. Évanturel exprime sa colère et sa déception à Laurier, qui lui offre comme consolation le poste de greffier du Sénat du Canada en décembre 1907. Malade, il occupe cette fonction moins d’un an et décède le 15 novembre 1908.

Héritage

Son fils, Gustave Évanturel, poursuit la tradition familiale de l’engagement politique en Ontario français. Lors de l’élection provinciale de 1911, il est élu député libéral de Prescott et combat le Règlement 17 adopté par les conservateurs en 1912.

Le canton d’Evanturel, dans l’Est ontarien a été nommé en son honneur et depuis 2005, l’Association canadienne-française de l’Ontario de Prescott-Russell décerne annuellement le prix Alfred-Évanturel. Ce prix vise à « rendre hommage aux élus locaux qui ont contribué au développement de la francophonie », une reconnaissance, en quelque sorte, du combat courageux et improbable qu’Alfred Évanturel a mené pour faire durer, dans le temps, la collectivité franco-ontarienne.

-

Lecture supplémentaire