L’avortement
est la cessation prématurée d’une grossesse. L’avortement a été un crime au
Canada jusqu’en 1988, lorsque la Cour
suprême du Canada a invalidé la loi, la jugeant inconstitutionnelle. Depuis,
l’avortement est légal à tous les stades de la grossesse d’une femme. L’avortement
est financé par l’État en tant que procédure médicale en vertu de la Loi
canadienne sur la santé (voir Politique
sur la santé). Cependant, l’accès aux services d’avortement diffère à
travers le pays. Malgré sa légalisation, l’avortement demeure une des questions
politiques les plus controversées de notre époque.
Crime de l’avortement et
amendement de 1969
Avant 1969,
provoquer un avortement est un crime en vertu de l’article 251 du Code criminel
. La peine maximale pour un médecin
ou toute autre personne qui aide une femme à mettre fin à sa grossesse est
l’emprisonnement à vie. Si la femme est elle-même reconnue coupable, sa peine
est de deux ans de prison.
Une affaire
célèbre d’avortement se produit en 1879. Elle implique Emily Stowe
. Celle-ci est la deuxième femme
canadienne autorisée à pratiquer la médecine.
Emily Stowe est accusée d’avoir effectué un avortement sur une jeune patiente par
l’administration de médicaments. Elle est éventuellement acquittée après un
procès long et très médiatisé. La poursuite contre Emily Stowe illustre à quel
point les autorités considèrent le délit d’avortement comme étant très sérieux durant
la fin du 19e siècle. Vers le milieu du 20e siècle,
les attitudes officielles changent et la loi sur l’avortement est rarement
appliquée contre les médecins.
En 1969, le
gouvernement du premier
ministre Pierre Elliot Trudeau
modifie le Code
criminel. Les médecins sont dès lors autorisés à pratiquer des avortements
dans des hôpitaux agréés si la grossesse menace la santé ou la vie d’une femme.
Un comité composé de médecins doit approuver la procédure. Dans toutes les
autres circonstances, l’avortement reste illégal.
Droits des femmes par
rapport aux droits de l’enfant à naître
À l’époque
aussi bien qu’aujourd’hui, l’avortement demeure une question morale et
politique qui crée des divisions. Il est condamné d’un côté par les défenseurs
« pro-vie » qui cherchent à défendre l’enfant à naître. Il est soutenu de
l’autre côté par les défenseurs « pro-choix » qui considèrent qu’il s’agit
d’une question personnelle qui doit être décidée par les femmes et non par l’État. Au
cours des années 1970 et 1980, les groupes « pro-vie » (cherchant une loi
sur l’avortement plus stricte) et les groupes « pro-choix » (cherchant à
légaliser l’avortement et à obtenir le financement public pour la procédure)
organisent de grands rassemblements publics. Ceux-ci incluent des
manifestations sur la Colline
du Parlement à Ottawa.
En 1967, au
cours des premiers jours de ce débat, la Commission royale d’enquête sur la
situation de la femme au Canada
est convoquée par le gouvernement
fédéral. Après trois ans d’audiences publiques, la commission présente un
rapport novateur sur les affaires des femmes. Le rapport recommande que
l’avortement soit légal pendant les 12 premières semaines de la grossesse. Il
stipule qu’après 12 semaines, l’avortement ne peut seulement être légal si la
grossesse menace la santé de la femme ou si l’enfant risque de naître avec un « handicap
sévère » mental ou physique.
Le
médecin Henry Morgentaler
est poursuivi pour avoir
pratiqué des avortements non autorisés. Il est acquitté par un jury en 1973.
Cependant, en appel, la Cour d’appel du Québec et la Cour suprême du Canada
infirment toutes deux la
décision du jury. Le docteur Henry Morgentaler purge une peine de prison.
La Cour
suprême établit aussi que la défense de la nécessité est théoriquement
disponible, autrement dit, les médecins pourraient ne pas être tenus
criminellement responsables si les conséquences de ne pas
avoir effectué un certain avortement étaient pires que de n’avoir rien fait. À
cause des circonstances de son cas, une telle défense n’était pas
spécifiquement possible pour Docteur Morgentaler.
Au cours de cette période, une grande partie du débat juridique se concentre sur la question de savoir si un fœtus a droit à la vie, indépendamment de sa mère, et de savoir si la liberté d’une femme inclut le droit de choisir d’interrompre sa grossesse. Joseph Borowski, ancien législateur du Manitoba , présente des contestations juridiques pour le droit du fœtus; le docteur Henry Morgentaler en présente également, pour se défendre contre son accusation. En ce qui concerne ces causes, les questions des droits ne sont pas substantiellement réglées par les tribunaux.
Décision de la Cour
suprême de 1988
Pendant les
années 1988, Henry Morgentaler
est poursuivi de nouveau pour
avoir fourni des services d’avortement. En 1988, sa cause R. c.
Morgentaler est portée devant la Cour
suprême. Cette fois-ci, elle évalue ses actions selon la Charte canadienne des droits et
libertés
de
1982. La Cour conclut que la disposition du Code
criminel
sur l’avortement viole le droit d’une femme à « la vie, la liberté et la sécurité de sa personne » en vertu de l’article 7 de la Charte.
Le juge en
chef Brian Dickson
écrit : « Forcer une
femme, sous la menace d’une sanction criminelle, à mener le fœtus à terme, à
moins qu’elle ne remplisse certains critères indépendants de ses propres
priorités et aspirations, est une ingérence profonde à l’égard de son corps et
donc une atteinte à la sécurité de sa personne. »
Spécifiquement,
la Cour ne dit pas qu’il existe un droit inhérent à l’avortement en vertu de la
Charte. Plutôt, elle dit que le système qui régit l’accès à l’avortement, en
particulier les comités de revue en milieu hospitalier qui sont censés
approuver les demandes d’avortement, comporte tellement de barrières et
fonctionne si mal qu’il est « manifestement injuste ». Par conséquent, la loi
contre l’avortement est abrogée. Elle reste techniquement dans le Code
criminel, mais elle est jugée inconstitutionnelle et donc inapplicable.
Puisqu’aucune autre loi ne la remplace, l’avortement est légal au Canada depuis
1988.
En même temps, la question des droits du fœtus est finalement décidée en 1989 dans la cause Tremblay c. Daigle. La Cour suprême juge que seule une personne possède des droits constitutionnels, et que ces droits commencent au moment de la naissance vivante. La Cour décide également que le père d’un fœtus n’a aucun droit de propriété sur le fœtus, il ne peut donc pas obtenir une injonction visant à empêcher la mère enceinte d’exercer son droit de choisir d’avoir un avortement.
Vote de 1990 de la Chambre
des communes
En 1990,
la Chambre des communes
vote en faveur (140 contre
131) d’une nouvelle loi. Présentée par le gouvernement progressiste-conservateur
du premier
ministre Brian Mulroney
, elle vise à criminaliser de
nouveau l’avortement. La nouvelle loi permettrait la procédure, dans le cadre
d’un processus d’examen simplifié, seulement si un médecin détermine que la
santé d’une femme est menacée par sa grossesse. Cependant, le projet de loi est
mort au Sénat
en janvier 1991 et ne devient jamais loi.
D’autres tribunaux
canadiens examinent également diverses tentatives par les provinces
et par des municipalités
de limiter le droit des femmes enceintes à obtenir un avortement. Toutes ces
tentatives juridiques échouent.
Accès aux services d’avortement
Suite à la
décision de la Cour
suprême en 1988, l’avortement devient un service médical financé par l’État.
Le service est disponible dans de nombreux hôpitaux,
ainsi que dans des cliniques privées, comme celles établies par le docteur
Morgentaler dans les grands centres urbains. Cependant, les services ne sont
pas disponibles de façon uniforme partout au pays. Ceci est particulièrement
vrai pour les régions rurales et certaines parties des provinces de l’Atlantique
.
Au Canada,
les provinces administrent les services médicaux publics (voir Répartition
des pouvoirs). Avec ce pouvoir, certains gouvernements provinciaux tentent
d’interdire les cliniques d’avortement privées, ils refusent de les financer
entièrement avec les fonds publics. En 1993, le docteur Morgentaler conteste
la Nova Scotia Medical Services Act jusqu’à la Cour suprême.
Celle-ci invalide la loi provinciale interdisant les cliniques d’avortement
dans cette province. De plus, pendant les années 1990, les gouvernements
de l’Alberta
et de Terre‑Neuve‑et‑Labrador
sont pénalisés en vertu de la Loi
canadienne sur la santé du gouvernement fédéral pour avoir autorisé la
facturation privée dans les cliniques d’avortement provinciales. À la suite de
ces pénalités, les provinces acceptent de financer entièrement les cliniques.
Au Nouveau‑Brunswick , les cliniques d’avortement privées n’ont pas réussi à obtenir le financement public. Ceci rend l’accès à la procédure plus difficile dans cette province. À l’Île‑du‑Prince‑Édouard , en date de 2016, aucun service d’avortement n’est disponible. Cependant, les femmes de cette province qui cherchent à obtenir un avortement payé par l’État peuvent l’obtenir dans les hôpitaux de la province voisine du Nouveau‑Brunswick.
Réponse politique récente
Depuis la
décision de 1988, l’avortement continue à être un sujet politique brûlant. Les
sondages d’opinion démontrent de façon constante que les Canadiens sont divisés
sur le sujet. En 2010, un sondage EKOS/Globe and Mail
révèle qu’une petite majorité
des Canadiens (52 %) sont « pro-choix », tandis que 27 % sont « pro-vie ».
Les 21 % restants ne sont affiliés à aucun des camps.
Par
conséquent, depuis 1990, les partis politiques
et les gouvernements fédéraux
évitent en général le sujet de l’avortement dans les débats parlementaires
. Ils préfèrent laisser à la Cour
suprême le dernier mot sur le sujet plutôt que de passer de nouvelles lois
pour formaliser le système existant ou pour le changer de quelque façon.
Plusieurs députés au Parlement
présentent des projets de loi d’initiative parlementaire au cours des dernières
décennies des deux côtés du débat sur l’avortement. Aucun de ces projets ne s’est
rendu à la Chambre
des communes et donc aucun n’est devenu loi.
En 2020, la
question de l’avortement reçoit possiblement sa plus large visibilité depuis
des décennies, lorsqu’elle est défendue par la candidate pro-vie, Leslyn Lewis,
lors du congrès
à la direction du Parti
conservateur pendant l’été. Avocate unilingue sans aucune expérience en
gouvernance, Leslyn Lewis a peu de chance de devenir chef. Néanmoins, la
conservatrice sociale fait de l’interdiction de certains avortements l’élément
central de sa campagne. Elle est soutenue par le groupe de revendication antiavortement
Right Now et recueille près de 2 millions de dollars. Sa performance
étonnamment forte au congrès, où elle mène le vote populaire au deuxième tour
de scrutin avant de chuter lors des votes subséquents, illustre la viabilité de
l’avortement en tant qu’enjeu au sein du Parti conservateur.
Pilule abortive
En juillet
2015, après un long processus d’examen, le gouvernement fédéral
permet aux médecins canadiens
de commencer à prescrire Mifegymiso, un régime de médicaments connu plus communément
comme la « pilule abortive ». Les deux médicaments qui composent Mifegymiso
permettent aux femmes d’interrompre, à la maison, une grossesse précoce (dans
les 49 jours suivant la conception). Conçu en partie pour améliorer l’accès à
l’avortement, le médicament agit en provoquant une fausse-couche.
Contrairement
aux autres médicaments, le gouvernement
fédéral exige que les médecins distribuent Mifegymiso directement aux
patientes, au lieu de leur donner une prescription à apporter à la pharmacie.
Cependant, dans certaines provinces, ces règlements sont moins stricts. Les
médecins doivent également suivre un cours de formation en ligne avant de
pouvoir distribuer Mifegymiso. Les défenseurs de la santé
des femmes critiquent ces règlements, affirmant qu’ils compliquent
inutilement l’accès au médicament et qu’ils font en sorte qu’il est difficile
pour les médecins dans de petits cabinets, surtout dans les régions rurales, de
les maintenir en stock.
Voir aussi : Contrôle des naissances; Bioéthique; Condition féminine; Le Conseil du statut de la femme; Femmes et loi.