Prorogation au Canada | l'Encyclopédie Canadienne

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Prorogation au Canada

Une prorogation est une suspension du Parlement, au cours de laquelle toute activité parlementaire est arrêtée, le gouvernement restant, toutefois, au pouvoir et n’étant pas dissous. Chaque session du Parlement commence par une convocation et se termine par une prorogation, les deux étant émises par le gouverneur général (ou par le lieutenant‑gouverneur à l’échelon provincial) à la demande du gouvernement. Tout au long de l’histoire du Canada, les gouvernements ont parfois utilisé la prorogation à leur propre avantage. Le principal objectif de la prorogation est d’effacer du Feuilleton les affaires, anciennes ou en cours, et d’établir un nouveau programme législatif. Tous les travaux parlementaires en cours, qui n’ont pas été achevés à la fin d’une session, meurent au Feuilleton. Il existe, toutefois, des procédures permettant de rétablir, lors d’une nouvelle session, qui commence par le discours du Trône, des activités de la session précédente.

Édifices du Parlement, Ottawa

(photo de James H. Marsh)


Fonction et histoire

Une prorogation est un événement habituel de la procédure parlementaire, se produisant à la fin de chaque session parlementaire. Elle diffère d’un ajournement ou d’une suspension, qui sont des pauses à court terme d’une session, n’y mettant pas fin. Une prorogation met un terme à une session et « remet les compteurs à zéro » pour la session suivante; toutefois, le gouvernement n’est pas dissous et reste au pouvoir. Toutes les activités parlementaires — réunions des comités, enquêtes, votes, périodes de questions orales, etc. — sont arrêtées. Tous les projets de loi qui n’ont pas reçu la sanction royale meurent au Feuilleton et cessent d’exister. Ils peuvent cependant être réintroduits à la Chambre des communes lors d’une nouvelle session, et rétablis si les députés adoptent une motion à cet effet.

Entre 1867 et 1938, les sessions annuelles du Parlement ne duraient que quelques mois, tandis que les prorogations occupaient la majorité de l’année. Normalement, les sessions durent désormais une année complète, avec trois prorogations. Entre 1980 et 2010, la durée moyenne d’une prorogation au Canada a été de 22 jours. Une prorogation ne peut durer plus d’un an, la Constitution exigeant que Parlement se réunisse au moins une fois tous les 12 mois.

La Chambre des communes
(photo de Roy Grogan, avec la permission du Bibliothèque du Parlement, Gouvernement du Canada)


Prorogations célèbres

Tout au long de l’histoire du Canada, on constate que des gouvernements ont utilisé, à leur propre avantage, la suspension du Parlement autorisée par une prorogation. En voici quelques illustrations:

En 1873, le gouverneur général, lord Dufferin, répond favorablement à la demande de sir John A. Macdonald de proroger le Parlement, mettant ainsi fin à une enquête sur sa participation au scandale du Pacifique. Lord Dufferin accorde une prorogation de10semaines, tout en avertissant le premier ministre en ces termes: « Votre rôle personnel dans ce qui s’est passé ne peut avoir que des conséquences funestes sur votre poste en tant que ministre. » Quand la Chambre des communes est à nouveau convoquée, le 23 octobre, plusieurs députés conservateurs quittent leur parti. Réalisant que son gouvernement perdrait la confiance de la Chambre en cas de vote, le premier ministre demande au gouverneur général de dissoudre le Parlement et démissionne de son poste. Lord Dufferin invite les libéraux à former un nouveau gouvernement et Alexander Mackenzie devient premier ministre.

À la fin des années 2000, la prorogation devient une question politique, faisant l’objet de débats passionnés. La controverse éclate, en 2008, lorsque le premier ministre Stephen Harper demande à la gouverneure générale, Michaëlle Jean, de proroger le Parlement. Cette demande survient peu de temps avant un vote de confiance qui aurait pu sceller la défaite du gouvernement minoritaire conservateur. Le gouvernement Harper aurait alors été remplacé par un gouvernement de coalition, formé par le NPD et par les libéraux, soutenu par le Bloc Québécois. Après en avoir discuté avec des experts constitutionnels, sous le regard aux aguets des médias et du public, la gouverneure générale accède à la requête du premier ministre. Le gouvernement Harper a survécu.

Stephen Harper

Stephen Harper, 22e Premier Minister du Canada et chef du parti Conservateur du Canada. Photo prise le 1er juillet, 2011.

(© Intoit/Dreamstime)


En 2009, Stephen Harper formule une nouvelle demande de prorogation, de deux mois, auprès de la gouverneure générale. Il fait alors valoir que son gouvernement doit consulter la population canadienne, ainsi que les entreprises, dans le contexte de la récession de 2008‑2009 où le pays doit faire face à d’importants enjeux économiques. Cependant, cette demande est largement critiquée comme constituant une tactique pour permettre au gouvernement de disposer du temps suffisant pour obtenir la majorité au sein des comités sénatoriaux. Elle est également considérée comme un moyen d’éviter les enquêtes, sur des allégations selon lesquelles le gouvernement aurait ignoré la torture des détenus pendant la guerre en Afghanistan. L’épisode de 2009 conduit à un débat sur la question de savoir si les gouvernements utilisent la prorogation comme un outil politique à leur propre profit.

En août 2020, le Parti libéral soutient que la demande de proroger le Parlement jusqu’au 23 septembre, formulée par le premier ministre Justin Trudeau, vise à redéfinir les priorités du gouvernement, qui ont largement subi le contrecoup de la pandémie de COVID‑19. Le premier ministre explique sa demande en ces termes: « Il est évident que le discours du Trône d’il y a huit mois n’est plus pertinent, par rapport à la réalité que vit la population canadienne et à laquelle notre gouvernement est confronté. » Cependant, les députés de tous les partis d’opposition font valoir que le but du premier ministre est plutôt de mettre fin aux enquêtes sur le scandale WE Charity, déjà à l’origine de la démission du ministre des Finances, Bill Morneau.

Justin Trudeau

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Réforme

La prorogation est régie par des conventions constitutionnelles, soit des règles non écrites. Un sondage d’opinion, effectué en 2017, montre que 84 % de la population canadienne est en faveur d’une restriction des pouvoirs du premier ministre fédéral et des premiers ministres provinciaux, par la mise en place de règles écrites claires s’imposant à tous. En 2009, la Cour fédérale du Canada juge qu’une modification des prérogatives de la Couronne ne peut être mise en œuvre par voie législative et qu’elle nécessite un amendement constitutionnel.

Voir également Procédure parlementaire.