Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick | l'Encyclopédie Canadienne

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Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick

Doté de la plus forte dualité linguistique au Canada, le Nouveau-Brunswick a adopté sa Loi sur les langues officielles (1969) quelques mois avant que le gouvernement fédéral n’adopte la sienne. La reconnaissance de deux communautés linguistiques (1981), les mécanismes d’application et de correction (2002), tout comme les règlements sur l’affichage commercial bilingue (2009) sont, en matière de bilinguisme, les plus audacieux au pays. Les francophones du Nouveau-Brunswick représentent 32,4 % de la population en 2016.

Formation du Nouveau-Brunswick et question scolaire (1784-1877)

Lors de l’expulsion des Acadiens par les autorités britanniques, des Acadiens se réfugient dans la région de Miramichi, au camp d’Espérance (1756) dans le nord-est de l’actuelle province du Nouveau-Brunswick (voir Histoire de l’Acadie). Après la signature du Traité de Paris (1763), ils sont rejoints par d’autres Acadiens qui avaient été déportés en Nouvelle-Angleterre ou en France. Ils y défrichent les terres de la région de Memramcook et s’établissent le long du fleuve Saint-Jean; certains abandonnent l’agriculture, leur activité traditionnelle, pour s’adonner à la pêche. À la fin de la Révolution américaine, plus de 30 000 loyalistes s’installent dans les Maritimes. Dès 1784, ces derniers réclament une nouvelle colonie distincte; elle sera détachée de la Nouvelle-Écosse et s’appellera New-Brunswick (Nouveau-Brunswick).

Pendant la première moitié du 19e siècle, la colonie établit des grammar schools pour les anglo-protestants établis au sud de la province. Pour les Acadiens établis au nord, elle leur réserve des maîtres ambulants, des classes de langue française et parfois des écoles. Une forte natalité fait passer la population acadienne de 3 700 (1801) à 45 000 (1871) personnes.

La Loi constitutionnelle de 1867, qui fait du Nouveau-Brunswick l’une des quatre provinces fondatrices de la Confédération canadienne, ne contient aucune disposition particulière pour les Acadiens : l’article 133 reconnaît le bilinguisme des institutions du Québec, ainsi que l’utilisation du français à la Chambre des communes et dans les tribunaux fédéraux; l’article 93 reconnaît la législation scolaire jusque-là en vigueur dans les colonies. Comme il n’existe alors aucune loi garantissant le financement des écoles séparées (catholiques) ou l’instruction en français, le gouvernement de Fredericton est libre de les suspendre. En 1871, la Common Schools Act (ou Loi 87) inaugure la gratuité scolaire et crée des districts scolaires, mais interdit du même coup l’enseignement du catéchisme et du français. La mesure déclenche une forte opposition des Acadiens et une crise ( voir Question des écoles du Nouveau-Brunswick). Or, le gouvernement fédéral refuse d’intervenir et la Cour suprême confirme la constitutionnalité de la Loi 87. En janvier 1875, une émeute à Caraquet fait deux morts. En août, Fredericton autorise à nouveau la présence d’enseignants religieux, l’instruction religieuse après les heures de classe, puis l’utilisation du français et des manuels bilingues dans les écoles primaires où les catholiques sont assez nombreux.

Des reconnaissances modestes (1877-1940)

Dès 1884, la création d’un département français au sein de l’École normale permet à des élèves acadiens d’obtenir un brevet d’enseignement de troisième classe (la formation la moins approfondie à l’époque). Le régime vise toujours à préparer les élèves à intégrer les écoles secondaires anglaises (high school), mais seulement 3 % réussissent l’épreuve. Par ailleurs, au fil des campagnes électorales, on n’hésite pas à manifester de l’hostilité envers les francophones. Ainsi, en 1929, Fredericton annule un règlement qui encourage l’usage du français dans les écoles acadiennes.

Parallèlement, les communautés acadiennes établissent des institutions qui leur sont propres, notamment un hôpital de langue française, l’Hôtel-Dieu de Moncton, fondé en 1922. L’élite acadienne se penche aussi sur l’enrichissement du programme scolaire et la création de caisses populaires.

L’essor institutionnel et la quête d’égalité (1940-1969)

La prospérité de l’après-guerre et la croissance démographique des Acadiens (ils composent 41 % de la population du Nouveau-Brunswick en 1941) permettent au clergé d’établir des collèges franco-catholiques dans le Madawaska et des collèges pour filles. On assiste aussi à cette époque à l’apparition des premières stations de radio et de télévision de langue française. Or, les iniquités persistent comparativement à la population anglophone : les élèves du comté (anglophone) de Kings reçoivent un financement 2,5 fois supérieur à celui que reçoivent les élèves du comté (acadien) de Gloucester; de plus, l’analphabétisme chez les Acadiens est deux fois plus élevé que chez les anglophones.

L’élection des libéraux de Louis-J. Robichaud en juin 1960 et la modernisation de l’appareil étatique mènent à l’ouverture d’écoles secondaires publiques de langue française et à la création de l’Université de Moncton (1963). Réélus en 1963, les libéraux présentent le programme « Chances égales pour tous » (1965) qui vise à mieux distribuer les ressources de la province, notamment en centralisant le financement de l’éducation. En 1971, les districts scolaires des comtés acadiens du nord sont reconnus comme étant francophones, mais les districts bilingues ou anglais gèrent toujours les écoles acadiennes ailleurs.

La Loi sur les langues officielles (1969)

À la suite du premier rapport de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme paru en 1967 et les manifestations étudiantes de 1968 à Moncton, le gouvernement Robichaud reconnaît le français comme langue officielle. Proclamée le 18 avril 1969, trois mois avant l’adoption de la loi fédérale Loi sur les langues officielles, la Loi sur les langues officielles  du Nouveau-Brunswick (LLONB) fait du Nouveau-Brunswick la première province à accorder le droit aux citoyens de recevoir les services du gouvernement dans la langue officielle de leur choix.

Toutefois, la LLONB ne contraint pas les associations professionnelles, les syndicats, le secteur privé, les services de santé et les municipalités à appliquer la loi. Plus encore, le délai de huit ans avant l’entrée en vigueur de certaines dispositions, puis l’absence d’un ombudsman pour surveiller et rectifier son application posent des limites importantes à la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick.

Réceptivité et mise en application (1969-1977)

Entre autres, la subdivision du Nouveau-Brunswick de l’United Empire Loyalist Association et la Provincial Grand Orange Lodge of New Brunswick s’opposent à cette transformation qu’elles dépeignent comme une dépossession politique des anglophones (voir Ordre d’Orange au Canada). Certains politiciens tirent profit de ce mécontentement. Ainsi, le maire de Moncton, Leonard Jones, qui réduit toute reconnaissance du français à la discrimination et au sectarisme, est réélu en 1973 et est entendu par la Cour suprême pour contester la Loi sur les langues officielles en 1975 (voir Affaire du maire Jones).

Entretemps des militants néonationalistes acadiens voulant augmenter la pression sur le gouvernement forment la Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick (SANB). La radicalisation des positions pousse le premier ministre progressiste-conservateur Richard Hatfield, élu en 1970, à concevoir une nouvelle politique linguistique afin d’ atténuer les tensions, d’assurer la paix sociale et de bâtir une nouvelle identité néo-brunswickoise.

La reconnaissance des communautés (1977-1981)

Réélu en 1974, Richard Hatfield scinde le ministère de l’Éducation en secteurs anglophone et francophone, chacun pourvu d’une autorité distincte sur la programmation scolaire, et dote les Acadiens d’une autonomie ministérielle. Ouverte en 1978, l’École de droit de l’Université de Moncton fournit aux Acadiens une première formation en common law en français et prépare le terrain pour qu’il y ait plus d’avocats, de procureurs et de juges acadiens. Toutefois, le premier ministre agit avec prudence, il hésite en effet à constituer des commissions scolaires francophones et à enclencher une restructuration administrative qui mènerait à la dualité linguistique au sein de la fonction publique.

L’élection du Parti québécois en 1976 et la percée du Parti acadien, qui recueille 12 % des suffrages à l’élection néo-brunswickoise de 1978, créent une urgence d’agir. La Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick souligne que la précarité socioéconomique des Acadiens du nord demeure réelle et que plusieurs ministères ne comptent toujours aucun directeur francophone. Cette exclusion du processus d’élaboration des politiques amène la Convention d’orientation nationale des Acadiens, tenue en octobre 1979, à proposer un projet collectif qui verrait le Nouveau-Brunswick adopter bien plus qu’un bilinguisme de façade ou à se scinder en provinces anglophone et acadienne.

Devant la crise, le gouvernement Hatfield prend acte de la spécificité des Acadiens, sans toutefois leur accorder le statut de « peuple », ce qui impliquerait le droit à l’autodétermination (ou droit des peuples à disposer d’eux-mêmes). Adoptée le 17 juillet 1981, la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick, ou la Loi 88, affirme l’égalité des statuts, des droits et des privilèges des deux communautés linguistiques, puis accorde à chacune le droit à des institutions distinctes dans les domaines culturel, éducatif et social. Cependant, la Loi 88 affirme l’indivisibilité de la province et accorde surtout des libertés individuelles qui, espère le président du Conseil du trésor et parrain de cette loi, Jean-Maurice Simard, contribueront à freiner l’assimilation linguistique des Acadiens. Bien que la Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick considère la loi incomplète, elle y voit l’un « des moyens capables de sauvegarder la culture acadienne ».

Les freins à la reconnaissance d’une dualité politique (1981-1993)

Les droits linguistiques provinciaux du Nouveau-Brunswick sont enchâssés dans la Charte canadienne des droits et libertés (1982). L’article 16.1 (1) confirme l’égalité des deux communautés linguistiques et l’article 16.1 (2) oblige la province à protéger et à promouvoir le statut, les droits et privilèges visés au paragraphe 1, tandis que les articles 17(2) et 19(2) stipulent qu’un individu a le droit d’employer la langue officielle de son choix dans la législature et les tribunaux; enfin, l’article 20(2) autorise tout individu à s’exprimer dans sa langue officielle auprès de « tout bureau des institutions de la législature ou du gouvernement ».

Alors que la Charte reçoit la sanction royale, les juristes Michel Bastarache et Bernard Poirier recommandent, pour dénouer les tensions entre anglophones et francophones, la réorganisation et la décentralisation de l’appareil provincial, la préservation de l’identité linguistique des régions administratives, l’attribution du droit à tout fonctionnaire de travailler dans sa langue et la création d’un mécanisme de coercition pour pallier les irrégularités. À mots couverts, ils recommandent l’adoption d’une dualité administrative, à l’image du dédoublement du ministère de l’Éducation.

Or, la majorité écrasante remportée par Richard Hatfield aux élections de 1982, qui marginalisent le Parti acadien, tarit sa volonté d’en faire plus. Insatisfait du rapport Poirier-Bastarache, Hatfield crée le ministère de la Réforme de la gestion des services provinciaux et forme une nouvelle commission sur le bilinguisme. Déposé en juin 1986, le Rapport du Comité consultatif sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick (aussi appelé rapport Guérette-Smith) recommande aussi la formation d’unités de travail linguistiquement homogènes et l’adoption de politiques de discrimination positive visant à créer une réelle capacité d’offrir des services égaux dans les deux langues.

Ce sont les libéraux de Frank McKenna, élus en 1987, qui donnent suite au rapport Guérette-Smith. Devant un jugement controversé de la Cour suprême qui stipule que le droit de parler français dans une cour ne garantit pas le droit d’y être compris, les libéraux modifient l’article 13(1.2) de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick afin que toute personne ait « le droit d’être entendue par un tribunal qui comprend, sans avoir besoin de traduction, la langue officielle dans laquelle la personne a l'intention de procéder. »

Ébranlés par l’arrivée du parti Confederation of Regions, qui propose l’union des provinces maritimes et l’abrogation des droits spécifiques aux Acadiens, à titre d’opposition officielle, la Société des Acadiennes et des Acadiens du Nouveau-Brunswick (SAANB) redouble d’efforts pour protéger la Loi 88 des aléas de la politique élective en l’enchâssant dans la Constitution canadienne. À la demande du gouvernement McKenna, la Chambre des communes modifie la Charte en 1993 pour y inclure les principes de la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick.

La modernisation de la Loi sur les langues officielles (1993-2002)

Puisque l’article 16(1) de la Charte reconnaît l’égalité des deux « communautés linguistiques » du Nouveau-Brunswick, il sous-tend que ces dernières possèdent chacune des droits et privilèges collectifs. Cela se rajoute aux jugements de la Cour suprême (la cause Mahé (1990) et la référence sur les écoles du Manitoba (1993)) pour compléter, en 1997, la réorganisation des districts scolaires sur une base linguistique.

Dans l’arrêt Charlebois c. Mowat et Ville de Moncton (2001), où un propriétaire d'immeuble de Moncton conteste la validité d’un arrêté et d’une ordonnance publiés en anglais seulement, la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick oblige 19 municipalités à traduire leurs règlements et la province à revoir la LLONB. L’arrêt Charlebois a des échos surprenants : en 2002, Moncton devient la première ville officiellement bilingue au pays, puis la Société des Acadiennes et des Acadiens du Nouveau-Brunswick et des professeurs, qui réclament la modernisation de la Loi sur les langues officielles, sont entendus.

Le cadre de la nouvelle Loi sur les langues officielles (2002-2013)

Le gouvernement progressiste-conservateur de Bernard Lord refond la LLONB en juin 2002 : l’article 19 reconnaît le droit des citoyens à employer la langue officielle de leur choix sans l’aide d’un interprète dans les cours provinciales et municipales; l’article 35 oblige toute municipalité dont la population de langue officielle minoritaire atteint au moins 20 % à adopter et à publier ses arrêtés dans les deux langues officielles; l’article 36 stipule que ces municipalités sont tenues d’offrir les services et les communications dans les deux langues officielles, ce qui crée des obligations pour 15 municipalités additionnelles; l’article 43 institue le poste de commissaire aux langues officielles, un ombudsman chargé de veiller au bilinguisme de l’appareil provincial et des municipalités désignées bilingues. La Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick de 2002 a plus de « mordant » avec ses mécanismes d’application, de promotion, d’enquête et de vérification.

En 2008, dans un arrêt concernant une contravention donnée par un agent unilingue anglophone à une automobiliste acadienne, la Cour suprême reconnaît que la Gendarmerie royale du Canada, responsable des services de police provinciaux au Nouveau-Brunswick, est soumise aux mêmes obligations linguistiques que les institutions provinciales.

La même année, le gouvernement libéral de Shawn Graham propose de regrouper la dizaine de régies de santé anglophones, bilingues et francophone en une régie anglophone et une régie bilingue. Cela obligerait les hôpitaux et la régie qui fonctionnent essentiellement en français à devenir bilingues. L’ex-juge Michel Bastarache lance une poursuite contre son propre gouvernement pour atteinte aux libertés fondamentales des francophones. Après deux ans de résistance, le gouvernement recule et reconnaît qu’il y a une inégalité des services, que des efforts de rattrapage sont nécessaires et qu’il faut protéger la régie francophone et la dualité du système de santé du Nouveau-Brunswick.

D’autres ajustements sont apportés relativement aux langues officielles. En 2009, Fredericton présente une politique révisée sur la langue de travail et dépose une loi visant à améliorer l’exactitude des traductions de preuve dans les procès. Dès 2011, la Loi sur les municipalités renforce la capacité de certaines municipalités, à forte majorité acadienne, de fonctionner essentiellement en français. En 2009 et 2010, certaines d’entre elles avaient adopté des arrêtés pour exiger l’affichage bilingue extérieur de l’ensemble des commerces.

Le renouveau et les défis persistants (depuis 2013)

En juin 2013, le gouvernement progressiste-conservateur de David Alward modifie la Loi sur les langues officielles pour élargir les responsabilités du Commissaire aux langues officielles, assujettir les associations professionnelles à la Loi, tenir compte des obligations linguistiques dans les efforts que font les corps policiers et les tribunaux pour rendre justice dans un délai raisonnable et prévoir une révision de la Loi avant décembre 2021.

La réforme est ambitieuse, mais ne corrige pas tout : le taux de bilinguisme des anglophones stagne à 15 %, le Commissariat aux langues officielles souligne le manque de bilinguisme dans les corps ambulanciers, puis la réduction du nombre de circonscriptions en 2014 fait fi des circonscriptions rurales francophones qui maintenaient le poids politique des Acadiens. Lors de la campagne électorale provinciale de l’automne 2018, aucun débat des chefs n’a lieu en français, le Parti progressiste-conservateur plaide pour la réduction des exigences en matière de bilinguisme au sein de l’appareil politique et l’Alliance des gens du Nouveau-Brunswick recommande des reculs encore plus prononcés.