Thornton et Lucie Blackburn | l'Encyclopédie Canadienne

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Thornton et Lucie Blackburn

Thornton et Lucie (Ruthie) Blackburn, chercheurs de liberté, entrepreneurs, militants antiesclavagistes, et bienfaiteurs communautaires (Thorntorn, né en 1812 à Maysville, au Kentucky; décédé en 1890 à Toronto, en Ontario. Lucie, née en 1803, possiblement dans les Antilles; décédée en 1895, à Toronto, en Ontario). Après une fuite dramatique de l’asservissement dans le Kentucky, leur recapture à Detroit a déclenché les Blackburn Riots (émeutes Blackburn), deux ans plus tard en 1833. Les demandes pour leur extradition ont incité le Haut-Canada à établir sa première politique d’accueil des réfugiés (voir Réfugiés au Canada). Après s’être installés à Toronto, les Blackburn ont consacré leur temps et leur considérable richesse à la lutte contre l’asservissement et aux causes pour la communauté afro-canadienne. (Voir aussi La Société antiesclavagiste du Canada.) N’ayant pas d’enfants, et ne sachant ni lire ni écrire, leur histoire a été presque complètement oubliée jusqu’à ce que, en 1985, des archéologues (voir Archéologie) découvrent le site de leur ancienne demeure. L’ancienne propriété des Blackburn a été le premier site du chemin de fer clandestin découvert au Canada.


Reconstituer l’histoire des Blackburn

En 1985, des archéologues (voir Archéologie) qui travaillent dans une cour d’école du centre-ville de Toronto découvrent les fondations d’une petite maison, d’une grange, et d’une cave à légumes en terre. Cet endroit est le site de ce qui a un jour été la maison et l’entreprise de Thornton et Lucie Blackburn. Avec le soutien du Conseil scolaire de Toronto, la Ontario Black History Society et le gouvernement de l’Ontario, plus de 3000 élèves et des bénévoles participent aux excavations. Les fouilles ont une couverture médiatique dans le monde entier et attirent des milliers de visiteurs.

La directrice du site, docteure Karolyn Smardz Frost, passe plus de deux décennies à rassembler des indices sur les expériences remarquables d’asservissement et de liberté des Blackburn. Sa biographie du couple I’ve Got a Home in Glory Land : A Lost Tale of the Underground Railroad (2007) est le premier livre sur l’histoire afro-canadienne à remporter un prix littéraire du Gouverneur général pour de la non-fiction.

Site de la maison Thornton Blackburn, 1985

Jeunesses

La pierre tombale de Thornton Blackburn au cimetière Necropolis de Toronto indique qu’il est né à Maysville, dans le Kentucky. Maysville est situé sur la rivière Ohio, qui séparait le Sud esclavagiste du Nord libre avant la guerre civile américaine (de 1861 à 1865). (Voir aussi La guerre de Sécession et le Canada.) Thornton Blackburn est pris des mains de sa mère et vendu alors qu’il n’a que trois ans. Il est offert en cadeau au jeune fils d’un maître de poste local. À un très jeune âge, il est forcé de travailler dans la maison et dans les étables de la famille du maître de poste, et alors qu’il n’a que 14 ans, il est vendu à un marchand d’esclaves situé en aval de la rivière. Acheté par le docteur Gideon Brown, il est emmené à Hardinsburg, dans le centre du Kentucky.

Lorsque le médecin meurt trois ans plus tard, Thornton Blackburn est envoyé à la ville portuaire de Louisville, au Kentucky. À cet endroit, il est embauché comme porteur par une compagnie de marchandises sèches. Sous la supervision du beau-frère de Dr Brown, le juge John Pope Oldham, Thornton Blackburn vit dans les quarters (nom donné aux secteurs où les Noirs vivaient) derrière le manoir du centre-ville du juge Oldham, où les personnes réduites en esclavage sont contraintes de dormir. Les revenus de Thornton Blackburn servent à soutenir la veuve et les enfants du docteur.

À Louisville, Thornton Blackburn tombe en amour avec une femme magnifique. Connue sous le nom de Ruthie en tant que personne asservie, elle est nourrice dans une famille de marchands blancs. Ruthie a plus tard affirmé être créole des Antilles. Elle a 28 ans, et Thornton n’en a que 19, mais elle accepte de devenir sa femme. Les Blackburn ne sont heureux que durant une courte période. Lorsque les propriétaires de Ruthie meurent subitement, elle est vendue aux enchères à un marchand local qui fait la traite d’esclaves du Kentucky dans le Sud profond.

Fuite à Detroit

Thornton et Ruthie Blackburn craignent qu’elle ne soit destinée à devenir une fancy girl (fille de joie) sur les marchés de la Nouvelle-Orléans ou de Natchez, dans le Mississippi. Les hommes riches du Sud et les propriétaires de bordels vont à ces marchés pour chercher des maîtresses et des prostituées réduites en esclavage. Ruthie et Thornton s’échappent de manière audacieuse en bateau à vapeur la veille du jour de l’indépendance, le 3 juillet 1831. Vêtus de beaux habits, ils ont en main de faux papiers les identifiant comme étant des Afro-Américains libres. Les Blackburn voyagent vers le nord sur le bateau à vapeur Versailles jusqu’à Cincinnati, en Ohio. De là, le couple monte à bord d’une diligence en destination du territoire du Michigan. Ils deviennent rapidement des membres appréciés et respectés de la petite communauté afro-américaine de Detroit.

Procès et évasion au Canada

En juin 1833, un voyageur du Kentucky reconnaît Thornton Blackburn dans une rue de Detroit. Il rapporte ses découvertes aux propriétaires respectifs des Blackburn et ceux-ci envoient un avocat ainsi que le neveu de la veuve, Mme Brown, qui arrivent rapidement à Detroit. Le couple Blackburn est arrêté et jugé en tant « qu’esclaves fugitifs » en vertu de la loi fédérale des États-Unis.

Les Noirs de Detroit remplissent la salle d’audience. En entendant le verdict qui condamne les Blackburn à l’asservissement à vie, la communauté jure de brûler la ville en entier si le couple est renvoyé en asservissement. Thornton et Ruthie sont envoyés en prison, où ils doivent attendre l’arrivée du bateau à vapeur qui les ramènera vers des châtiments brutaux, et sans aucun doute, vers la séparation permanente l’un de l’autre.

Pendant ce temps, leurs partisans concoctent un plan désespéré. Le 16 juin 1833, deux braves femmes visitent Ruthie dans sa cellule pour prier avec elle avant son départ, et elles y restent jusqu’au soir. L’une d’entre elles change de vêtements avec la prisonnière, et prend sa place en prison pendant que Ruthie est transportée de l’autre côté de la frontière à Amherstburg, du côté canadien de la rivière.

Le lendemain, l’évasion de Thornton est encore plus spectaculaire. Lorsqu’il est emmené, enchaîné, à la porte de la prison pour être transporté au bateau à vapeur qui l’attend, plus de 200 hommes et femmes armés marchent dans la rue et le sauvent. Thornton et sept de ses sauveteurs fuient et traversent la rivière Detroit jusqu’à Sandwich, dans le Haut-Canada (maintenant une partie de Windsor, en Ontario). Cet évènement ainsi que de nouvelles actions de protestation à Detroit sont connus sous le nom de Blackburn Riots of 1833 (les émeutes Blackburn de 1833).

À Sandwich, le groupe de Thornton est rapidement envoyé en prison, tout comme Ruthie. La maire de Detroit les accuse d’avoir incité des troubles civils, ainsi que la tentative de meurtre du shérif de Wayne County, qui a été gravement blessé dans la mêlée.

Libération

Le lieutenant gouverneur du Haut-Canada, sir John Colborne, n’est pas partisan de l’asservissement. (Voir aussi Abolition de l’esclavage, loi de 1833.) Lorsque le gouverneur par intérim du Michigan demande l’extradition des Blackburn, sir John Colborne fait appel au procureur général Robert Simpson Jameson pour qu’il trouve des motifs juridiques pour les protéger. S’ils sont jugés pour leurs prétendus « crimes » par un tribunal américain, le couple retournera dans le Kentucky et l’asservissement. Comme l’asservissement n’est pas une peine imposée pour quelque crime que ce soit dans le Canada colonial britannique, sir John Colborne statue que Thornton et Ruthie ne peuvent être renvoyés dans une juridiction où les attend une sentence bien plus sévère que ne le permettrait la loi canadienne. À ce jour, ce principe demeure fondamental dans la législation canadienne sur l’extradition.

Emménagement à Toronto

Ruthie Blackburn change son nom pour Lucie afin de marquer sa nouvelle liberté. Après presque un an à Amherstburg, elle et son mari déménagent à Toronto en 1834. C’est là que Thornton trouve son frère Alfred, qui s’était enfui de l’asservissement du Kentucky cinq ans plus tôt. Alfred travaille dans la banlieue est de la ville, pour le riche brasseur Enoch Turner. Lucie et Thornton se construisent une petite maison sur une rue avoisinante, la South Park Street (maintenant appelée Eastern Avenue), juste au nord du Distillery District d’aujourd’hui.

Thornton travaille comme serveur au palais de justice de Osgoode Hall. Il y apprend qu’un nouveau genre de transport en commun vient d’arriver à Montréal. Il s’agit du fiacre d’Angleterre, qui peut accueillir quatre personnes, et est tiré par un seul cheval. En 1837, Thornton et Lucie embauchent le mécanicien Paul Bishop pour qu’il leur en construise un, et ils le peignent en jaune avec une bordure rouge. Tout comme on nomme un bateau, ils nomment leur fiacre « The City » (la ville). On peut voir l’évocation du fiacre des Blackburn dans les couleurs du logo de la Commission de transport de Toronto. Le stand du fiacre est situé sur la rue Church à l’ouest de la cathédrale St James. Rapidement, d’autres fiacres appartenant à divers conducteurs commencent à apparaître dans les rues de Toronto.

Thornton et son frère Alfred s’ennuient de leur mère, Sibby, qui est toujours asservie dans le Kentucky. Cet hiver-là, Thornton retourne à Detroit et prend le chemin de fer clandestin en sens inverse pour aller sauver Sibby Blackburn, et il la ramène à Toronto. Elle vit dans la maison d’Alfred située dans l’est, durant le reste de sa vie.

Implication communautaire

Thornton Blackburn ne possède qu’un seul fiacre, mais son entreprise est très prospère. Lui et Lucie vivent modestement et ils contribuent généreusement à leur communauté et à leur ville. Lucie Blackburn offre l’un des premiers dons pour construire l’Église anglicane Little Trinity. Elle et Thornton logent également dans leur maison les chercheurs de libertés qui arrivent en ville. On croit qu’ils ont eu, parmi leurs invités, Ann Maria Jackson et ses sept enfants, qui se sont échappés du Delaware en 1858. Le plus jeune de ces enfants, Albert Jackson, deviendra plus tard le premier facteur noir de Toronto.

Les Blackburn construisent également six maisons dans St. John’s Ward, un quartier du centre-ville où les nouveaux arrivants s’installent d’abord lorsqu’ils arrivent à Toronto. Thornton et Lucie louent continuellement les maisons à des taux nominaux aux familles des chercheurs de liberté.

Thornton est un abolitionniste, et il est délégué de la Convention of Coloured Freemen (Convention des hommes de couleur libres) qui se tient au St. Lawrence Hall en septembre 1851. Les délégués viennent de partout pour discuter de la meilleure stratégie pour réagir à la sévère Loi des esclaves fugitifs de 1850, adoptée l’année précédente par le gouvernement américain. Thornton est nommé vice-président de la nouvelle Canadian Mill and Mercantile Association. L’association est financée par des entrepreneurs noirs. Elle construit une scierie, une minoterie, et un magasin général pour créer des emplois à Buxton, une communauté de personnes anciennement asservies près de Chatham, dans ce qui est maintenant l’Ontario.

Vies ultérieures

Après la guerre civile (de 1861 à 1865), Thornton et Lucie Blackburn prennent leur retraite. (Voir aussi La guerre de Sécession et le Canada.) Le fiacre de Thornton est donné à la York Pioneer and Historical Society qui l’expose à la Scadding Cabin aux parcs d’expositions de Toronto. (Voir aussi Exposition nationale canadienne.) Le couple peut vivre de l’intérêt de leurs investissements pour le restant de leurs vies. En 1887, le conseil scolaire de Toronto construit la Sackville Street School (maintenant connue sous le nom de la Inglenook Community School) sur un terrain exproprié à l’arrière de la propriété des Blackburn.

Lorsque Thornton meurt en 1890, il laisse à son épouse 18 000 $, une fortune à l’époque, et six maisons. Lucie vend l’ancienne propriété de South Park Street, et déménage dans une maison qu’elle possède sur Bleecker Street, au nord de la rue Carlton. Lorsqu’elle meurt cinq ans plus tard, Lucie a encore 13 000 $, ainsi qu’une succession qui inclut la maison sur Bleecker Street, et plusieurs prêts hypothécaires sur des propriétés à John’s Ward.

Aujourd’hui, Thornton et Lucie Blackburn reposent sous un magnifique obélisque de granite rouge dans le cimetière Nécropolis de Toronto. Leur tombe funéraire se trouve à côté de la tombe de l’éditeur du Globe, George Brown, abolitionniste et père de la Confédération. Enterrés avec eux, se trouvent la mère et le frère de Thornton, Sibby et Alfred, ainsi que leur amie de longue date, Ann Maria Jackson et son fils Richard.

Commémoration

La Commission des lieux et monuments historiques du Canada a nommé les Blackburn personnages d’importance historique nationale en 1999.

En 2016, le George Brown College a ouvert les portes du Lucie and Thornton Blackburn Conference Centre sur les environs de sa première résidence d’étudiants. Avec sa murale frappante et évocatrice créée par les élèves du George Brown College, cette désignation commémore le fait que les Blackburn et George Brown ont été actifs en même temps pour des causes antiesclavagistes à Toronto.

Termes clés

Extradition : processus juridique par lequel une personne ayant commis un crime, ou soupçonnée d’avoir commis un crime, est livrée au système judiciaire de l’endroit où le crime a été commis.

Liens externes