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Les espèces envahissantes au Canada: animaux

Une espèce envahissante est une espèce, généralement transportée par l’humain, qui s’établit dans un nouvel écosystème. Bien qu’il soit impossible de dire exactement combien d’espèces envahissantes vivent au Canada, des chercheurs estiment qu’au moins 1442 espèces envahissantes– notamment des poissons, des plantes, des insectes et des invertébrés– sont présentes dans les terres agricoles, les forêts et les cours d’eau du Canada en 2002. Les répercussions environnementales complexes qu’entraîne la présence de tant d’espèces envahissantes sont inconnues, voire impossibles à déterminer. Généralement, les espèces non indigènes sont craintes, car elles se reproduisent beaucoup plus rapidement que les espèces indigènes et entrent en concurrence avec celles-ci pour les sources de nourriture, l’habitat et d’autres ressources. Sur le plan économique, on estime que les espèces envahissantes coûtent aux Canadiens des milliards de dollars chaque année découlant des pertes de revenus liés aux ressources naturelles et des répercussions sur les services écosystémiques.


La carpe herbivore est l’une des quatre espèces de carpes connues collectivement sous le nom de «carpes asiatiques».

    (photo de Ryan Hagerty, avec la permission de l’U.S. Fish and Wildlife Service/Œuvre en usage partagé de Flickr)

    Contexte

    Les espèces envahissantes peuvent se propager dans toutes les régions du Canada. Cela dit, les Grands Lacs sont l’un des écosystèmes les plus touchés du pays, plus de 180 espèces envahissantes connues s’étant établies dans le bassin depuis le 19esiècle. De 1970 à 2000, une nouvelle espèce envahissante est signalée dans les Grands Lacs tous les huit mois en moyenne, ce qui pousse certains chercheurs à conclure que d’innombrables nouvelles espèces envahissantes pourraient s’installer dans les Grands Lacs d’ici 2063, si aucun nouveau règlement n’est mis en place.

    Les espèces envahissantes ne produisent pas toutes des effets graves et perceptibles sur leurs nouveaux écosystèmes. De plus, il est probable que les espèces envahissantes au Canada n’aient même pas encore toutes été identifiées, et que d’autres soient simplement en dormance. Par exemple, on retrouve des douzaines d’espèces envahissantes de gastéropodes et de mollusques dans le bassin des Grands Lacs. Mais peu de mollusques, à l’exception des moules zébrées et des moules quagga, ont des répercussions négatives connues sur leur écosystème en filtrant d’énormes quantités de phytoplanctons, organismes auxquels de nombreuses autres espèces qui en dépendent pour leur survie n’ont plus accès. Pourtant, ces douzaines d’espèces de gastéropodes et de mollusques peuvent causer des problèmes qui ne sont pas très bien compris; les chercheurs ignorent tout simplement quels sont leurs effets sur leur environnement.

    Les scientifiques savent toutefois qu’à mesure que de nouvelles espèces envahissantes s’établissent quelque part, elles peuvent parfois s’aider mutuellement. Lors d’un processus que l’on appelle «invasion catastrophique», certaines espèces envahissantes aident d’autres espèces envahissantes à prospérer en leur fournissant un habitat ou un accès à des sources de nourriture que les espèces indigènes ne peuvent partager équitablement (voir Étude de cas: la moule zébrée et la moule quagga ci-dessous).

    Comment les espèces envahissantes se propagent-elles?

    Les espèces envahissantes sont souvent introduites accidentellement dans de nouveaux habitats, bien que les humains soient presque toujours impliqués d’une manière ou d’une autre. Par exemple, lorsque les navires de haute mer vident le lest (un compartiment à la base du navire qui sert à maintenir sa stabilité) dans les Grands Lacs, cette eau, provenant souvent de régions éloignées du monde, peut contenir de nombreuses espèces non indigènes au bassin. La moule zébrée ne constitue que l’une des nombreuses espèces qui se sont répandues dans toute l’Amérique du Nord après avoir été introduites dans les Grands Lacs par l’eau de lest de navires de haute mer. C’est également le cas des gobies à taches noires, des moules quagga et des bulimes, en plus de nombreuses plantes envahissantes.

    Les espèces envahissantes se propagent également à travers le pays en raison du réchauffement climatique. Les tiques du chevreuil, reconnues aux États-Unis pour être porteuses de la maladie de Lyme, étaient autrefois contrôlées par les froids hivers. Depuis le début du 21e siècle, les tiques porteuses de la maladie de Lyme progressent lentement vers le Nord pour s’établir dans diverses régions du Canada, y compris l’Ontario, le Québec, la Nouvelle-Écosse, le sud du Manitoba, la Saskatchewan, et l’Alberta. Début 2016, le gouvernement canadien s’inquiète tellement de l’introduction des tiques au Canada et de leur capacité à propager la maladie que l’Agence de la santé publique, située à Ottawa, fait enquête sur la question.

    Les humains introduisent certaines espèces dans de nouvelles régions du Canada à des fins écologiques ou récréatives. Le saumon quinnat et le saumon coho, par exemple, sont intentionnellement ensemencés dans les Grands Lacs dès le milieu du 19e siècle, mais on accroît les populations dans les années 1960 pour lutter contre le gaspareau (une autre espèce envahissante) et pour mettre en place la pêche sportive du saumon. L’achigan à grande bouche en constitue un autre exemple. Bien que l’achigan à grande bouche soit indigène à l’est de l’Amérique du Nord, cette espèce est envahissante en Colombie-Britannique dans la région du Lower Mainland et dans le réseau hydrographique du fleuve Columbia, où elle est introduite par les pêcheurs aux fins de pêche sportive. Une fois relâchés, les achigans à grande bouche tuent de nombreuses populations de poissons-proies et propagent des maladies chez certaines espèces indigènes.

    Pourquoi les espèces envahissantes sont-elles une source de préoccupations?

    Les espèces envahissantes sont préoccupantes pour différentes raisons:

    Elles sont en concurrence directe avec les espèces indigènes pour les sources de nourriture et l’habitat;

    Elles réduisent la biodiversité de la région et désavantagent encore plus les espèces en voie de disparition ou en péril;

    Elles propagent des maladies comme la maladie de Lyme chez les humains ou le botulisme chez les poissons et les oiseaux de rivage par les chaînes alimentaires aquatiques et terrestres;

    Elles tuent les cultures agricoles et les arbres indigènes;

    Elles coûtent des milliards de dollars en frais de gestion et en diminution de la valeur économique des cultures, des forêts et des pêches.

    Bien que les coûts qu’entraînent les espèces envahissantes soient difficiles à établir, les chercheurs qui se penchent sur la question en 2004 constatent que les répercussions économiques de seulement 16 espèces non indigènes, notamment le longicorne asiatique, la spongieuse, le coléoptère, la grémille et la mouche des cornes, sur tous les plans– du rendement agricole et des pêches à la mort des arbres– s’élèvent entre 13,3 à 34,5 milliards de dollars par année. Ces 16 espèces ne représentent que 1,1% des 1442 espèces envahissantes estimées actuellement présentes au Canada.

    Ce coût exorbitant amène certains chercheurs à qualifier les espèces envahissantes de «taxe invisible» que doivent payer tous les Canadiens en raison des services écosystémiques limités offerts par la nature. Au-delà des cultures ou des arbres dévorés par des organismes nuisibles envahissants, le prix économique et social que paient les Canadiens peut comprendre la perte de revenus liés à la pêche sportive et commerciale, la perturbation des réseaux d’eau potable des municipalités, des centrales électriques et des installations industrielles, et la perte d’occasions de loisirs et de tourisme.

    Étude de cas: la lamproie

    La lamproie est une espèce envahissante présente dans les Grands Lacs. Grâce à sa bouche en ventouse et à ses dents, elle s’attache aux poissons indigènes, dont elle se nourrit.

      (photo de Ryan Hagerty, avec la permission de l’U.S. Fish and Wildlife Service/Œuvre en usage partagé de Flickr)


      Originaire de l’Atlantique Nord, de la mer Baltique et de l’Adriatique, la lamproie, semblable à une anguille, s’établit dans le lac Ontario dès 1835. Bien que les chutes Niagara aient longtemps constitué un obstacle naturel à leur déplacement en amont, la lamproie contourne les chutes par le canal Welland au début du 20e siècle et s’installe dans tous les Grands Lacs en 1938.

      Pourtant, même dans les années 1920, la lamproie commence à utiliser sa bouche à ventouse et ses dents acérées pour se nourrir des populations locales de poissons qui n’ont aucun moyen de la repousser. Entre 12 à 18 mois, une seule lamproie peut tuer l’équivalent de plus de 20kg de poissons.

      Dans les Grands Lacs, l’absence de prédateurs, conjuguée à l’abondance de nourriture et de cours d’eau à frayères, permet aux populations de lamproies de croître à un rythme effréné. Dans les années 1950, la lamproie décime pour ainsi dire entièrement les populations d’esturgeons et de touladis. Les rendements du touladi passent de 15millions de livres au début des années 1940 à seulement 300000 livres à la fin des années 1960.

      Ce n’est qu’en 1958 qu’une série de toxines sont identifiées pour contrôler les populations de lamproies. L’utilisation de ces lampricides et d’autres méthodes de contrôle permettent de réduire les populations de lamproies de 90% par rapport à leur sommet historique.

      Étude de cas: la moule zébrée et la moule quagga

      Bien qu’elles ne soient pas plus grosses qu’un ongle, les moules zébrées peuvent obstruer les tuyaux et consommer des quantités impressionnantes d’algues.

        (photo de D. Jude, avec la permission du Great Lakes Environmental Research Laboratory de la NOAA/Œuvre en usage partagé de Flickr)


        Pas plus grosse que l’ongle d’un adulte, la moule zébrée fait son apparition dans les Grands Lacs dans les années 1980, transportée dans les eaux de lest des porte-conteneurs en provenance de la région pontocaspienne de la mer Noire. Bien que de petites tailles, la moule zébrée et la moule quagga, qui lui est étroitement apparentée et qui s’établit dans la région peu de temps après la moule zébrée, constituent un problème pour les humains et les écosystèmes d’eau douce au Canada et aux États-Unis. Leur croissance rapide obstrue les tuyaux de prise d’eau des usines, des centrales électriques et des réseaux municipaux d’eau potable. Elles consomment également d’énormes quantités d’algues dans les cours d’eau– algues essentielles à la survie d’autres espèces aquatiques.

        Depuis leur introduction dans le lac Ontario, les deux espèces de moules se sont largement répandues dans toute l’Amérique du Nord– vers le nord en direction de Québec en empruntant le fleuve Saint-Laurent et vers le sud dans le bassin versant du fleuve Mississippi jusqu’au golfe du Mexique. En plus des Grands Lacs et du fleuve Mississippi, des moules zébrées et quagga ont également été signalées dans le sud-ouest des États-Unis.

        Par ailleurs, les moules zébrées et les moules quagga aident d’autres espèces envahissantes à prospérer, ce que les chercheurs désignent comme une invasion catastrophique. En poussant en couches épaisses les unes sur les autres, elles fournissent une source de nourriture et un habitat inattendus aux amphipodes envahissants. De plus, elles permettent à une espèce envahissante de crevettes de coloniser un nouveau territoire, le lac Érié, et sont devenues une source de nourriture pour une autre espèce envahissante: le gobie à taches noires.

        Étude de cas: le dendroctone du pin ponderosa

        Les arbres rouges trahissent une infestation de dendroctones du pin ponderosa dans les forêts situées près de Clearwater, en Colombie-Britannique, dans le bassin du Fraser. Photographie prise le 30 mai 2008.
        (avec la permission de Murray Foubister/Flickr CC)


        Le dendroctone du pin ponderosa, originaire de l’Ouest canadien, a étendu son territoire traditionnel du centre de la Colombie-Britannique au nord de la Colombie-Britannique et de l’ Alberta. Ce petit coléoptère est connu pour s’enfoncer dans l’écorce des arbres et les tuer lentement en libérant un champignon qui empêche l’eau de circuler dans l’arbre.

        Les hivers froids, où les températures chutent constamment jusqu’à -40°C, permettent de contrôler les populations de dendroctones du pin ponderosa. À mesure que les hivers se réchauffent en raison des changements climatiques et que des phénomènes météorologiques extrêmes, comme les sécheresses, exercent des pressions supplémentaires sur les forêts, le dendroctone du pin ponderosa peut prospérer et se répandre dans des chaînes de montagnes entières, malgré l’abondance de prédateurs naturels, dont les pics, les parasites et d’autres insectes.

        D’ici 2017, on estime qu’il aura détruit 58% de tous les pins tordus latifoliés marchands de la Colombie-Britannique sur 18millions d’hectares, soit environ deux fois et demie la superficie du Nouveau-Brunswick.

        Étude de cas: la carpe asiatique

        La carpe herbivore, la carpe argentée, la carpe à grosse tête et la carpe noire (connues collectivement sous le nom de «carpes asiatiques») ne se sont pas encore établies au Canada, bien que des biologistes et des pêcheurs aient trouvé de petits bancs de carpes herbivores dans les affluents du lac Érié, du lac Huron et le long des rives de Toronto. Les populations reproductrices de carpes herbivores, de carpes à grosse tête et de carpes argentées sont actuellement présentes dans la rivière Illinois, les pêcheurs commerciaux et les barrières électriques des environs de Chicago étant les seuls obstacles les empêchant d’atteindre le lac Michigan.

        Ces quatre espèces apparentées sont introduites aux États-Unis entre 1960 et 1980 pour aider les pisciculteurs et les conseils municipaux à nettoyer l’aquaculture et les bassins d’eaux usées dans le sud des États-Unis. Après avoir été relâchées dans les cours d’eau, elles se sont reproduites à l’état sauvage et ont parcouru les cours d’eau partout en Amérique, au nord vers les Grands Lacs et au sud vers le golfe du Mexique.

        À compter de 2019, ces poissons menaceront de s’établir dans les écosystèmes canadiens, où les populations reproductrices pourraient nuire aux milieux humides côtiers, aux mollusques et aux poissons indigènes, dont la survie dépend des mêmes sources alimentaires que les carpes à grosse tête et les carpes argentées. Pouvant peser 40kg ou plus et atteindre une longueur de 1m, les carpes asiatiques peuvent manger quotidiennement 40% de leur poids corporel. Comme les sources de nourriture sont suffisantes pour que les carpes asiatiques puissent prospérer dans les Grands Lacs et qu’elles ont accès aux cours d’eau à frayères nécessaires à leur reproduction, les chercheurs soupçonnent que si elles s’établissent dans cette région, elles pourraient devenir l’espèce de poisson dominante dans les lacs Michigan, Érié et Huron dans les 5 à 20 ans suivant leur arrivée.