Muriel Kitagawa | l'Encyclopédie Canadienne

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Muriel Kitagawa

Tsukiye Muriel Kitagawa (née Fujiwara), écrivaine, activiste politique (née le 3 avril 1912 à Vancouver, en Colombie-Britannique; décédée le 27 mars 1974 à Toronto, en Ontario). Dans les années 1930 et 1940, Muriel Kitagawa a été rédactrice et collaboratrice pour The New Age, The New Canadian et Nisei Affairs, des journaux fondés par d’autres Canadiens d’origine japonaise de deuxième génération afin de militer pour les droits politiques de leur communauté. Elle était surtout connue pour les lettres envoyées en 1941-1942 à son frère, Mitsumori Wesley « Wes » Fujiwara, dans lesquelles on pouvait lire ses observations sur la réalité de la communauté japonaise à Vancouver dans les mois suivant l’attaque du Japon sur Pearl Harbor (en décembre 1941). Les lettres relataient également l’adoption graduelle de mesures gouvernementales visant le retrait forcé de la communauté établie sur la côte (voir Loi sur les mesures de guerre; Internement des Canadiens d’origine japonaise). Ses lettres ont été publiées à titre posthume en 1985, dans le recueil intitulé This is My Own: Letters to Wes & Other Writings on Japanese Canadians, 1941-1948. Les textes de Muriel Kitagawa s’avèrent une source importante pour le mouvement pour un redressement des Canadiens d’origine japonaise.

Muriel Kitagawa à la plage, à Vancouver, en Colombie-Britannique, vers 1930.

1912-1930 : jeunesse et éducation

Muriel Kitagawa est l’aînée de Tsuru (née Toyofuku) et d’Asajiro Fujiwara, des immigrants japonais (voir Immigration au Canada; Canadiens d’origine japonaise). Dès son jeune âge, elle est consciente du fait que le racisme la réduit, aux yeux des autres, à un « spécimen du péril jaune ». (Voir aussi Racisme anti-asiatique au Canada.) Muriel Fujiwara, dont la famille vit dans une pauvreté extrême, déménage souvent pendant son enfance. Ses parents, à la recherche d’emplois stables, en viennent parfois même à vivre séparément de leurs enfants. En 1924, alors que Muriel vit avec sa mère et ses frères et sœurs à New Westminster, en Colombie-Britannique, son père étudie la dentisterie en Oregon. Il s’installe plus tard à Vancouver pour y ouvrir une clinique.

À New Westminster, Muriel Kitagawa fréquente l’école secondaire Duke of Connaught, où elle obtient d’excellentes notes, surtout en anglais, en langues et en histoire. Elle termine ses études en 1929, avec le titre de deuxième de classe. La jeune adulte s’inscrit ensuite à l’Université de Colombie-Britannique, qu’elle fréquente pendant un an avant d’abandonner son parcours scolaire pour des raisons économiques.

1930-1941 : activisme politique et mariage – The New Age et The New Canadian

Les talents d’écrivaine de Muriel Kitagawa deviennent pour elle un outil important pour s’impliquer dans la communauté nippo-canadienne, et plus précisément pour militer pour ses pairs de la « deuxième génération », communément appelés Nisei. Aussi appelés « Japonais nés au Canada », les Nisei sont les personnes nées au Canada de parents japonais ayant immigré au pays (voir Immigration au Canada). Bien qu’ils soient légalement Canadiens, les Nisei n’ont pas le droit de vote en raison de leur race (voir Racisme anti-asiatique au Canada). Puisque bon nombre de professions à l’époque sont réservées par la loi aux personnes pouvant voter, la discrimination politique contribue directement à la discrimination économique. (Voir aussi Préjugés et discrimination au Canada.)

Au début des années 1930, Muriel Kitagawa devient collaboratrice pour The Young People, le journal de la Société des jeunes de l’Église unie. Elle devient ensuite rédactrice en chef pour The New Age, un journal en langue anglaise fondé pour et par les Nisei. Créé en 1932, The New Age ferme ses portes après seulement un an. Sa vocation est toutefois reprise par The New Canadian en 1938.

Le 20 mai 1933, Muriel Fujiwara épouse Eizaburo « Ed » Kitagawa, un ancien collègue du The New Age. Ed Kitagawa est alors une célébrité dans la communauté japonaise locale, ayant été tour à tour joueur, capitaine puis gérant de l’équipe de baseball de l’Asahi. Il occupe également à l’époque un emploi de bureau à la Banque de Montréal, où il est responsable des clients d’origine japonaise. De 1934 à 1942, à Vancouver, le couple donne naissance à quatre enfants : Shirley, Carolyn (aussi appelée Carol) ainsi que Jon et Ellen, des jumeaux. En 1940, la famille Kitagawa achète sa propre maison dans l’est de Vancouver, au 2751 rue East Pender, ce qui constitue une réussite remarquable parmi leurs pairs.


Muriel Kitagawa écrit souvent des textes pour The New Canadian, qui a succédé à The New Age, et en est une grande partisane. Ses centres d’intérêt, qui s’étendent bien au-delà de la politique, l’amènent à écrire des textes d’opinion sur les événements récents, des réflexions sur l’identité nippo-canadienne et la maternité, des nouvelles, des récits d’immigrants japonais et même des poèmes lyriques. Pendant ce temps, dans sa maison de l’est de Vancouver, elle organise également un « club de matrones » pour les femmes mariées et un « cercle d’auteurs » pour ceux qui s’intéressent à la création littéraire.

Le saviez-vous?

Muriel Kitagawa utilisait de nombreux noms de plume en écrivant pour The New Canadian. Elle a notamment signé des textes sous les pseudonymes « T.M.K » et « Sue Sada ».


Pendant cette période de sa vie, Muriel Kitagawa devient aussi présidente de l’unité nippo-canadienne de la Croix-Rouge. Elle occupe ce poste jusqu’en 1941, mais doit se retirer en raison de problèmes de santé découlant de sa troisième grossesse.

1942 : relocalisation forcée à Toronto

Le Canada déclare la guerre au Japon en décembre 1941, après les attaques-surprises à Pearl Harbor, à Hong Kong et aux Philippines (voir Deuxième Guerre mondiale). La déclaration de guerre plonge dans l’incertitude la communauté de Canadiens d’origine japonaise établie à Vancouver. Muriel Kitagawa commence alors à décrire les événements et ses observations dans des lettres destinées à son plus jeune frère, Wes Fujiwara, étudiant en médecine à Toronto. Les missives, en plus d’exprimer ses inquiétudes par rapport à sa propre famille, illustrent les efforts de la communauté pour s’organiser et militer pour ses droits lorsque le gouvernement publie des décrets et adopte la Loi sur les mesures de guerre pour expulser les Nippo-Canadiens du littoral britanno-colombien. Les lettres de Muriel Kitagawa décrivent également la réalité des Canadiens d’origine japonaise retenus dans le parc Hastings ou envoyés dans des camps. (Voir aussi Internement des Canadiens d’origine japonaise.)

Dans sa correspondance avec son frère, Muriel Kitagawa évoque également la possibilité de s’installer à Toronto avec sa famille. Sans l’aide de Wes et de ses amis, les Kitagawa seraient séparés : Ed serait envoyé dans un camp de travail comme les autres hommes adultes tandis que Muriel et les enfants seraient envoyés dans un camp d’internement. Le révérend James Finlay, une connaissance de Wes, offre aux Kitagawa de se loger chez lui, ce qui leur permet d’obtenir un permis du gouvernement pour relocaliser toute la famille à Toronto. Muriel Kitagawa et sa famille quittent Vancouver le 1er juin 1942 pour se rendre à Toronto.

Toronto : Comité canadien-japonais pour la démocratie et Nisei Affairs

En 1943, le gouvernement fédéral commence à vendre des propriétés détenues par des Canadiens d’origine japonaise sans le consentement de leurs propriétaires. (Voir aussi Internement des Canadiens d’origine japonaise.) C’est notamment le cas de la maison des Kitagawa, sur la rue Pender, dans l’est de Vancouver. Incapables d’empêcher la vente de leur maison en Colombie-Britannique, Muriel et Ed Kitagawa vivent le reste de leur vie à Toronto.

En 1945, Muriel Kitagawa est élue vice-présidente du Comité canadien-japonais pour la démocratie, à Toronto. L’organisme vise alors à faire progresser la « pensée démocratique Nisei » de manière « plus progressiste » que ce qui était possible à Vancouver avant la délocalisation forcée.

En 1947, elle devient directrice de la rédaction pour le magazine du Comité, nommé Nisei Affairs. À ce poste, elle encourage les lecteurs à jouer un rôle actif dans la lutte pour l’équité et la liberté. Dans un texte de 1947, l’autrice avance que les Canadiens d’origine japonaise ont « raison de demander un dédommagement » pour « les pertes matérielles encourues en raison de la discrimination et de l’évacuation ».

Muriel Kitagawa se convertit au catholicisme à la fin des années 1940. Dès lors, son engagement communautaire, de moins en moins axé sur les Nippo-Canadiens, se tourne davantage vers les organismes catholiques, y compris la communauté catholique japonaise de Toronto. Muriel Kitagawa décède au printemps 1974, quelques jours avant son 62e anniversaire.

Héritage

En 1978, Ed Kitagawa fait don d’une partie des textes de sa femme, y compris des lettres écrites à Wes Fujiwara, à Archives publiques du Canada (aujourd’hui Bibliothèque et Archives Canada). Dans la collection se trouvent des textes ayant inspiré le roman de Joy Kogawa intitulé Obasan (1981; trad. Obasan : roman, 1989). Le personnage d’Emily Kato, une écrivaine et activiste, est d’ailleurs inspiré de Muriel Kitagawa elle-même. En 1985, avec le soutien de Wes Fujiwara et d’Ed Kitagawa, Roy Miki publie les lettres et plusieurs autres textes de l’autrice pour créer le livre This is My Own: Letters to Wes & Other Writings on Japanese Canadians, 1941-1948.

En plus d’être un spécialiste de la littérature, Roy Miki est impliqué dans la National Association of Japanese Canadians (NAJC; association nationale de Canadiens d’origine japonaise), qui milite à l’époque pour que le gouvernement canadien reconnaisse les injustices vécues par les Nippo-Canadiens dans les années 1940. Sa préface du livre comprend une réflexion sur l’œuvre de l’autrice :

« Les textes des années 1940 de Muriel dépeignent les répercussions des mesures de guerre sur la communauté japonaise du Canada, une communauté déchirée, dépossédée, dispersée et ciblée du fait de sa race. »

Roy Miki conclut la préface par « l’appel au redressement » de la NAJC, présenté au gouvernement en 1984. This is My Own est l’un des nombreux livres publiés dans les années 1980 visant à dénoncer l’expérience vécue par les Canadiens d’origine japonaise pendant la guerre et à appuyer l’appel au redressement de la NAJC. En 1988, les négociations de redressement entre la NAJC et le gouvernement fédéral prennent fin et une entente est signée le 22 septembre de la même année. Gerry Weiner, le ministre d’État chargé du Multiculturalisme de l’époque, fait une déclaration de presse dans le cadre de l’événement et cite un passage d’Obasan inspiré directement des textes de Muriel Kitagawa.

Lecture supplémentaire

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