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Chef

Chef est un terme utilisé pour désigner le statut d’une personne ou le leadership qu’elle exerce au sein d’un groupe, d’un clan ou d’une famille. Le mot est d’origine européenne; les colons l’utilisent pour faire référence aux leaders de nations autochtones durant la période de contact. Même si les différentes nations autochtones ont leur propre terme pour désigner leur « chef », la version européenne (d’abord en anglais) du terme est toujours largement utilisée pour décrire les chefs qui ont pour tâche de promouvoir l’autonomie culturelle et politique. Les institutions et les organismes qui ne sont pas exclusivement autochtones utilisent également le terme pour désigner toute personne à la tête du personnel (par exemple chef de police, commandant en chef). Cet article explore les usages historiques et contemporains du terme dans un contexte autochtone.

Justin Trudeau et Perry Bellegarde
Le premier ministre, Justin Trudeau, et le chef national de l’Assemblée des Premières Nations (APN), Perry Bellegarde, discutent avant le début de l’Assemblée extraordinaire des Chefs de l’APN au Québec (2015).
Maungwudaus (ou George Henry) Chef de la première nation Mississauga, 1846.

Définition

Dans plusieurs cultures autochtones au Canada, les chefs sont les leaders de bandes, de clans et/ou de Premières Nations. Choisis soit par consensus soit à cause de leur ascendance, les chefs sont en position d’autorité dans leurs communautés. Ils servent surtout de lien entre leur population et les gouvernements municipaux, provinciaux et fédéral. Les chefs servent également à titre de leaders culturels et spirituels.

Origine du terme

Le terme chef en français vient du latin caput; les deux termes font référence à la tête d’un groupe. Durant la colonisation de l’Amérique du Nord, les colons européens utilisent la version anglicisée du terme – chief – pour décrire les leaders des nations autochtones qu’ils rencontrent.

Les peuples autochtones ont leurs propres termes pour décrire leurs leaders, comme sachem (Haudenosaunee) et ha’wiih (Nuu-chah-nulth). Le terme « chef » demeure cependant en usage pour désigner les leaders autochtones, surtout dans les forums publics.

Le terme est officiellement inscrit dans la loi canadienne par l’entremise de l’Acte pourvoyant à l’émancipation graduelle de 1869 et de la Loi sur les Indiens de 1876. Toujours en vigueur aujourd’hui, la Loi sur les Indiens légifère (entre autres choses) le processus d’élection des chefs de Premières Nations au Canada. La Loi ne légifère cependant pas le processus d’élections chez les Inuits, les Métis et dans les communautés non-inscrites (voir Indien) ou autonomes car même s’ils sont reconnus comme des Autochtones dans la Constitution, ils ne relèvent pas de la compétence de la Loi sur les Indiens.

Histoire

De l’époque du contact européen jusqu’à aujourd’hui, les chefs jouent un rôle important dans le développement, le maintien et le remodelage des relations avec les autorités coloniales quant au commerce, la guerre et la paix, les traités et la politique moderne. Durant la traite des fourrures, par exemple, les Européens dépendent de la connaissance et de l’hospitalité des chefs autochtones et de leurs peuples qui leur fournissent des abris, des vivres et des conseils. Aux 17e et 18e siècles, des conflits armés éclatent entre les puissances européennes qui s’arrachent le territoire nord-américain. Les chefs autochtones et les leaders européens créent donc des alliances militaires pour garantir leur protection mutuelle contre leurs ennemis communs. Au fur et à mesure que les Européens s’installent pour de bon en Amérique du Nord, des traités servent (entre autres choses) à renforcer les bonnes relations entre les colons et les Autochtones. Les représentants du gouvernement signent des traités avec des chefs pour acquérir les droits sur des territoires ancestraux en échange de versements uniques ou ininterrompus, et dans certains cas, les droits à la chasse et à la pêche. Au 20e siècle, certains chefs voient la politique partisane comme un moyen pour faire avancer les objectifs nationaux des peuples autochtones, comme la protection de l’environnement, un meilleur accès à l’emploi et à des services de santé, et une amélioration générale de la vie tant sur les réserves qu’à l’extérieur.

Chefs des Premières Nations

Les rôles des chefs diffèrent énormément d’une Première Nation à une autre partout au Canada. Certaines Premières Nations sont historiquement des chefferies – des communautés haut gradées menées par un chef principal – comme les bandes de la confédération des Neutres. D’autres Premières Nations, comme les Cris et les Siksika, ont toujours eu une grande variété de chefs, de mineurs à grands chefs, qui se séparent les responsabilités. Aujourd’hui, ces rôles sont souvent comblés par des conseillers élus et des chefs qui se partagent le pouvoir de façon similaire.

Dans certains cas, des chefs officiels n’existent pas avant la période de contact, notamment chez les Dénés et les Innus. Des individus qui démontrent du leadership dans des domaines comme la chasse, le commerce ou la guerre, attirent des adeptes. Durant la traite des fourrures, les Européens encouragent (et dans certains cas, imposent) l’instauration de chefs qui ont davantage de pouvoirs; il s’agit d’une façon de maîtriser les populations autochtones locales. Le rôle de chef existe toujours dans plusieurs de ces communautés.

Chefs élus et héréditaires

Même si toutes les cultures sont différentes, il existe deux types de chef dans les systèmes de gouvernance moderne des Premières Nations : héréditaire et élu. Le pouvoir dont les chefs héréditaires sont investis leur est conféré par leur ascendance, à l’instar des monarques. Les chefs élus ressemblent davantage à des politiciens à qui le pouvoir est remis au terme d’élections; ils doivent rendre des comptes au gouvernement fédéral.

Avant la colonisation, plusieurs nations autochtones, comme les Haïdas, les Nisga’a, les Nuu-chah-Nulth et les Kwakwaka’wakw, ont des chefs héréditaires. La Loi sur les Indiens impose un système de gouvernance dans lequel les chefs doivent être élus. Pour les nations autochtones qui établissent une lignée de chefs héréditaires, ce nouveau système menace de renverser le mode traditionnel de gouvernance. Même pour les peuples qui sont familiers avec la sélection de chefs selon un consensus populaire, notamment les bandes de Cris et de Mohawks, la Loi sur les Indiens abolit plusieurs traditions, comme l’implication des femmes dans le processus électoral (jusqu’à l’amendement de la Loi sur les Indiens en 1951).

Le gouvernement fédéral ne reconnaît que les chefs qui ont été élus de l’une des façons suivantes : en se soumettant au protocole mentionné dans la Loi sur les Indiens; en respectant la « coutume de la bande » (un processus de sélection spécifique aux traditions d’une communauté); ou en ayant recours à la Loi sur les élections au sein de premières nations (promulguée en 2015 pour améliorer le système électoral). Les Premières Nations autonomes – qui ne relèvent pas de la Loi sur les Indiens – peuvent élire leurs chefs selon les règlements établis dans leur propre constitution. En raison de ces différents processus de sélection, la durée des mandats, la période d’élection et d’autres questions concernant l’élection d’un gouvernement diffèrent d’une Première Nation à l’autre au Canada.

La Loi sur les Indiens met un frein au pouvoir des chefs héréditaires, accordant aux chefs élus des pouvoirs législatifs dont leurs homologues ne jouissent plus. Les chefs héréditaires continuent de siéger à titre de gardiens des connaissances traditionnelles et de chefs culturels sacrés. Les chefs élus – perçus par certains comme l’imposition de structures coloniales à la gouvernance autochtone – n’ont généralement pas le même niveau d’autorité culturelle. À titre de privilège pour leur lignage, les chefs héréditaires conservent des droits sacrés sur les terres ancestrales, mais aussi sur les chansons culturelles, les ornementations et sur d’autres coutumes et pratiques. Certains chefs héréditaires héritent même de noms qui désignent leur autorité, comme Delagmuukw chez les Gitksans et Maquinna chez les Mowachaht-Muchalaht.

Dans certains gouvernements contemporains de Premières Nations, les chefs héréditaires et élus travaillent de concert pour gouverner leur communauté. Par exemple, les Huu-ay-aht, une Première Nation autonome de la Colombie-Britannique, est dirigée par des chefs élus qui forment le gouvernement huu-ay-aht et par les chefs héréditaires connus sous le nom de ha’wiih qui servent à titre de conseillers et de gardiens de la tradition. Dans la Première Nation ‘Namgis (aussi en Colombie-Britannique), les chefs héréditaires et élus forment le Title and Rights Forum, un groupe qui cherche à « créer une vision collective » pour le futur de leur Nation.

Les relations ne sont pas toujours amicales entre les chefs élus et les chefs héréditaires. Dans certains cas, à la suite de l’imposition de la Loi sur les Indiens, des familles dirigeantes ancestrales font preuve d’animosité à l’égard de leurs homologues élus. Chez les Haudenosaunee, le Grand Conseil des chefs Haudenosaunee a longtemps été en désaccord avec le conseil d’élus des six nations – imposé par le gouvernement fédéral – étant donné que les deux entités se disputent le pouvoir et l’autorité au sujet du territoire, de la politique et de la culture. En 2016, chez les Haïdas, les tensions entre les chefs élus et les chefs héréditaires culminent à la suite d’une dispute pour savoir qui a l’autorité légitime de parler au nom du peuple. Deux chefs héréditaires et quelques citoyens haïdas appuient le projet du pipeline Northern Gateway d’Enbridge, mais se gardent bien de le dire aux membres du clan dont la majorité s’y oppose. Comme punition, la nation Haïda prive les deux chefs héréditaires de leurs titres sacrés.

Le saviez-vous?
En octobre 2020, la chef Marie-Anne Daywalker-Pelletier de la Première nation Okanese en Saskatchewan a pris sa retraite après 39 ans de service, ce qui représente le plus long mandat exercé par un chef d’une Première Nation au Canada. Elle a dirigé sa communauté depuis l’âge de 26 ans. En 2018, Marie-Anne Daywalker-Pelletier est devenue membre de l’Ordre du Canada.

Leaders inuits

Un leader inuit ne porte pas le titre de chef, mais il joue le même rôle : il pourvoie aux besoins de son peuple, il le protège et le guide. Avant l’arrivée des Européens, des aînés respectables et des hommes choisis par consensus sont à la tête de bandes et de familles inuites. Certains de ces hommes sont également des chamans ou des guides spirituels. Un exemple d’un grand chef dans l’histoire inuite est Qitdlarssuaq qui aurait mené l’une des premières migrations polaires – de l’île de Baffin au Groenland – au milieu du 19e siècle.

Dans le milieu du 20e siècle, les gouvernements territoriaux et fédéral cherchent à uniformiser les structures politiques inuites à des fins de consolidation étatique et administrative; ils souhaitent également inclure les Inuits dans les structures de gouvernance moderne. Conséquemment, on assiste à la création de conseils régionaux, municipaux et de hameau formés d’officiels élus et nommés.

Leaders métis

À l’instar des Inuits, les Métis ne désignent pas leurs leaders comme des chefs. La nation métisse est néanmoins dirigée par des individus qui se sont donné pour mission de protéger et de préserver la culture, le territoire et le mode de vie métis (voir aussi Ralliement national des Métis). Le leader métis le plus connu de l’histoire est incontestablement Louis Riel. Considéré comme le fondateur du Manitoba, Louis Riel est l’acteur principal des rébellions de la rivière Rouge et du Nord-Ouest. Gabriel Dumont est un autre leader métis bien connu. Chef de chasse, il tient un rôle-clé dans la chasse au bison. Il ne se contente pourtant pas de superviser la chasse; tout comme Louis Riel, il participe aux efforts de résistance visant à protéger le peuple métis contre l’intrusion gouvernementale. Aujourd’hui, la nation métisse a à sa tête un président élu.

Femmes chefs

Même si historiquement les hommes occupent des postes de leadership dans plusieurs nations autochtones, les femmes possèdent des pouvoirs de gouvernance dans certaines sociétés. Selon l’auteur Sharon Venne, les Cris voient les femmes comme les protectrices du territoire. Durant la période de négociation de traités de l’histoire canadienne, les leaders masculins ne peuvent pas céder le territoire car ils n’en ont pas l’autorité – seules les femmes peuvent parler en matière de territoire. Et comme les Européens ne reconnaissent pas le leadership féminin, les hommes chefs ne peuvent qu’offrir de partager le territoire.

Chez les peuples autochtones des forêts de l’Est, les femmes occupent des postes de pouvoir à titre de gardiennes des maisons longues. Les sociétés iroquoiennes précontact sont principalement matrilinéaires. Donc à la suite de l’union d’un couple, l’homme emménage dans la maison longue de la famille de sa femme. Par conséquent, les femmes jouent un rôle important dans la structure sociale de la communauté. Chez les Haudenosaunee, les systèmes de gouvernance respectent l’équité entre les genres. Les mères de clan (connues sous le nom de Iakoiane) nomment les hommes chefs (sachems). Le rôle des mères de clan survit à l’âge moderne.

Dans l’ensemble, la colonisation érode le leadership féminin. Les missionnaires et les colonisateurs européens ne reconnaissent que les hommes comme chefs de leurs communautés, même si les femmes occupent des rôles tout aussi importants. La Loi sur les Indiens interdit également l’élection de femmes chefs; avant 1951, seuls les hommes peuvent voter lors d’élections de bandes (voir aussi Les femmes autochtones et le droit de vote). Les délégués indiens – des représentants de la politique autochtone fédérale – ne reconnaissent que les chefs masculins. L’isolement des femmes à des postes de leadership a des répercussions permanentes sur les structures autochtones de gouvernance moderne. Par exemple, en 2016, plus du tiers des réserves du Manitoba n’ont aucune femme siégeant au sein des conseils de bande.

Les femmes persévèrent tout de même pour recouvrer des postes de leadership au sein de leurs communautés. En 1951, la Loi sur les Indiens est modifiée pour inclure le suffrage des femmes; Elsie Marie Knott de la Première Nation de Curve Lake en Ontario devient, en 1954, la première femme chef élue. Depuis, on note une augmentation de la représentation des femmes dans certaines communautés autochtones. Selon la sociologue Cora Voyageur, le nombre de femmes chefs a doublé au cours des 20 dernières années. En 2016, des femmes sont à la tête de près du cinquième des Premières Nations au Canada.

Ornementations

Il n’existe aucune ornementation unique pour les chefs dans les cultures autochtones au Canada. Les vêtements et les articles culturels portés par les chefs autochtones ont reflété, et reflète toujours, les symboles spécifiques à la culture, à l’histoire du peuple et à l’iconographie profondément spirituelle inspirée du territoire et des animaux. À l’époque moderne, certains chefs optent pour des tenues professionnelles occidentales agrémentées d’ornementations, comme une coiffe. D’autres continuent de porter les vêtements traditionnels, surtout quand ils célèbrent une cérémonie ou animent un événement culturel.

Chef nisga'a

Coiffes

Popularisée par la culture et les médias canadiens, la coiffe à plumes est un symbole souvent attribué (à tort) à tous les chefs. Même si les chefs de plusieurs Premières Nations des Plaines portent des coiffes à plumes, ce style de coiffe n’est pas représentatif de toutes les cultures autochtones au Canada. Par exemple, les chefs mi’kmaq ont leur propre coiffe qui enveloppe la tête, à la manière d’une couronne. Les chefs nisga’a portent un amhalayt, une coiffe taillée dans le bois et sertie d’éléments naturels, comme les moustaches d’une otarie ou des fourrures de belette, représentant l’un des ayukws (cimier) du chef.

Toutes les coiffes, peu importe leur style, revêtent une importance politique, spirituelle et culturelle. Plusieurs peuples des Premières Nations trouvent donc insultant que des non-Autochtones portent une coiffe comme costume ou comme élément tendance. En 2016, Party City et Spirit Halloween s’attirent des critiques car ils proposent des costumes tels « royauté de réserve » ou « princesse autochtone » qui perpétuent ce genre de stéréotypes. Récemment, on a demandé l’interdiction de porter de fausses coiffes lors d’événements publics. En 2015, les Jets de Winnipeg de la Ligue nationale de hockey décident – après avoir discuté de la question avec des chefs des Premières Nations – de refuser les fans qui portent des coiffes à leurs matchs.

Organisations politiques

Les chefs de diverses communautés autochtones se réunissent à l’échelle provinciale – par exemple Chiefs of Ontario ou l’Assemblée des chefs du Manitoba – pour favoriser la prise de décisions collectives. Les chefs se réunissent également à l’échelle fédérale. Fondée en 1982, l’Assemblée des Premières Nations succède à la Fraternité nationale des Indiens dans la protection des intérêts et des droits des peuples autochtones partout au Canada. Il s’agit d’un regroupement annuel de plus de 600 chefs des communautés des Premières Nations de partout au pays, du Chef national, du comité exécutif et des dix chefs régionaux. Les chefs inuits et métis se rassemblent également dans le cadre d’organisations nationales, à savoir l’Inuit Tapiriit Kanatami et le Ralliement national des Métis respectivement.

Guide pédagogique perspectives autochtones

Collection des peuples autochtones

Lecture supplémentaire

Liens externes